Groupe de travail : CAPES

Epreuve sur dossier capes interne de LM


Par COUPIN | Mis en ligne le 14-09-2009

L'Odyssée, attribuée à l'aède Homère, est une épopée des temps antiques racontant l'aventure d'un héros, Ulysse, un homme hors du commun, qui sortira vainqueur des épreuves ardues qui lui sont imposées au cours de sa quête, et ce, dans un monde merveilleux et mythologique. Il s'agit d'un texte fondateur dont l'étude permet aux élèves de sixième de découvrir la civilisation, la littérature, la culture grecque de la fin du huitième siècle avant Jésus-Christ environ, et par là même, d'approfondir leur connaissance de textes qui constituent un héritage culturel occidental primordial, privilégiant ainsi la compétence du socle commun - la culture humaniste -. Mais pas seulement celle-là puisque cette épopée mobilise des compétences de lecture (- maîtrise de la langue française : approche des genres, étude du pôle narratif -) : l'oeuvre présente une architecture générale beaucoup plus complexe que celle essentiellement chronologique du conte notamment, genre narratif « court » qui aura été étudié auparavant et auquel il est intéressant de confronter le récit épique d'Homère (genre narratif « long »). Par ailleurs, ce texte permet d'initier les élèves à l'étymologie et de parfaire ainsi leurs compétences orthographiques et lexicales. A cela s'ajoutera un travail en grammaire de la phrase sur l'adjectif et sur les expansions du nom initié par les épithètes homériques, travail envisagé dans le cadre général de l‘étude du groupe nominal et de sa détermination et qui sera mené transversalement sur toute la séquence.

Le dossier se compose d'un même épisode de L'Odyssée (mais selon des traductions sensiblement différentes) : celui dans lequel Ulysse combat le cyclope Polyphème; accompagné des deux appareils didactiques associés, élaborés par les manuels uniques Français 6e, Bordas, 2005 et Français 6e, collection Fleurs d'encre, Hachette, 2005 [que nous nommerons respectivement, pour simplifier l‘exposé, le manuel A et le manuel B]. Sont également joints les sommaires des deux séquences telles qu'elles interviennent en partie dans la progression des deux ouvrages. Dans le manuel A, le texte fait l'objet de la deuxième séance (« L'épreuve du monstre - Ulysse se venge du cyclope ») de la séquence 8 intitulée « Ulysse, le "héros aux mille ruses"», laquelle est elle-même la deuxième de trois séquences regroupées dans une « 1ère partie : Étude de textes » consacrée aux textes fondateurs antiques judéo-chrétiens ou gréco-romains. Le manuel B propose, quant à lui, le texte en quatrième séance (« Ulysse se mesure au cyclope, chant IX ») de la séquence 7 intitulée « Ulysse dans l'Odyssée », laquelle semble relever d'une partie dont le titre est « Ces héros qui nous font rêver », regroupement essentiellement thématique (la séquence suivante traite de héros contemporains comme Harry Potter ou Spiderman) plutôt que programmatique.
Dans notre progression, nous voyons plutôt les choses comme les concepteurs du manuel A, toute une partie de l‘année est consacrée aux textes fondateurs de façon à ce que les élèves en perçoivent la cohérence générale et la pertinence particulière. Cela dit, notre visibilité des progressions des manuels étant limitée, il nous est difficile de nous prononcer.
Par ailleurs, les deux sommaires révèlent que cette séance consacrée à l'aventure d'Ulysse sur l'île des cyclopes s'inscrit dans le cadre de l'étude de l'oeuvre intégrale. On peut alors se demander s'il ne serait pas judicieux de donner préalablement l'oeuvre à lire en lecture cursive. Les programmes préconisent de travailler dans ce sens, avec une évaluation de la réception de l'oeuvre avant une étude par extraits, étude fragmentée (lecture analytique, introduction en 6e) aussi bien que transversale (lecture plus synthétique), se constituant comme un « tout de signification ».

Nous nous demanderons si et comment les documents du dossier permettent de faire découvrir à des élèves de sixième l'essentiel des caractéristiques de l'épopée antique grecque mises en lumière par le texte. A savoir - et ce sera le plan du présent exposé - : 1. L'épopée : un genre narratif
- Les caractéristiques de la narration
- La place de l'épisode dans le récit? Dans l'histoire?
2. Les caractéristiques de l'épopée homérique
- Le héros épique et la moralité épique
- Le monstre et le merveilleux mythologique
3. La détermination dans le Gn : les expansions du nom, l‘adjectif épithète.

Les pré-requis attendus à ce stade concernent principalement les notions nouvelles de schémas narratif et actanciel abordées précédemment par l'étude des différentes formes de récit et par celle des contes. En grammaire, on s'attend à ce que l'élève sache segmenter la phrase en groupe nominal/groupe verbal et qu'il reconnaisse le nom et ses principaux déterminants ainsi que l'adjectif.
La complexité de l'oeuvre et des connaissances qu'elle requiert suppose de situer cette séquence dans la deuxième partie de l'année.

Avant de passer au corps de votre exposé, nous voudrions faire deux remarques préliminaires :
- Nous supposerons que la tradition orale dont L'Odyssée fut l‘objet (première version écrite en 530 à Athènes) aura été présentée en début de séquence ayant introduit ainsi le travail de l'aède, son éloquence, sa prodigieuse mémoire, l'échange avec l'auditoire#.
- Nous ferons l'hypothèse que les élèves auront lu l'oeuvre en lecture cursive au préalable, dans un édition de jeunesse modernisée et simplifiée, comme celle du manuel B ou encore celle de l‘École des Loisirs, avec pour consignes de repérer et donner un titre aux différents épisodes du roman (en en conservant l'ordre) et d'illustrer leur préféré par un dessin accompagné d'une justification écrite de ce choix. En début de séquence, l'évaluation de la réception de l'oeuvre (et donc la correction du travail précédent) se fera au travers la création de deux grands axes affichés : un axe du temps du récit visant à faire apparaître la complexité de la narration (récit emboîté, retour arrière) et que les élèves construiront en choisissant parmi les titres proposés ci-dessus; un axe du temps de l'histoire (de Troie à Ithaque) sur lequel les informations événementielles seront replacées chronologiquement, au fur et à mesure de l‘avancement de l'analyse. Les dessins produits élèves en seront les illustrations.

1. L'épopée : un genre narratif
L'épopée est traditionnellement définie comme un long poème (découpé en chants) narrant les exploits, les hauts-faits historiques ou mythiques d'un héros ou d'un peuple. Le mot épopée vient du grec epopoia (de epos, le récit d'un chant et poiein, faire, créer) qui signifie étymologiquement "action de faire un récit", emprunt et composition que l'on pourra déjà d'ores et déjà faire remarquer aux élèves. L'épopée relève du genre narratif dans la mesure où elle raconte et décrit les actions exceptionnelles des personnages héroïques (récit complexe).
L'étude du vocabulaire, avec une recherche dans les dictionnaires, nous semble un bon point d'entrée dans l'analyse du texte mais nous l'envisagerons pendant la première lecture dite approfondie (et non après comme pour le manuel A, surtout pas avant comme pour le manuel B) et ce, de façon à étudier le mot en contexte. Il est regrettable que nous n'ayons trouvé d'autres mots d'origine grecque que cyclope (qui sera envisagé ultérieurement). On pourra néanmoins présenter l'origine latine des mots comme libation ou épieu.
L'analyse du texte commence par l'examen des caractéristiques usuelles de la narration et ce, de manière à renforcer une connaissance encore en cours acquisition en 6ème. Qui raconte? C'est Ulysse le narrateur autodiégétique et intradiégétique. Si les deux manuels posent immédiatement la question du narrateur, il nous parait intéressant d'aller un peu plus avant dans l'énonciation du texte en demandant à qui s'adresse Ulysse : à Nausicaa, la fille du roi Alkynoos de Phéacie et à sa cour et ce, afin d‘en percevoir la subtilité (le narrateur hétérodiégétique et extradiégétique de la premier partie cède la parole à Ulysse qui raconte son périple aux Phéaciens puis la lui restitue à la fin). Les élèves disposent du chapeau introducteur du manuel A pour se remémorer la situation d'énonciation du texte (Ulysse raconte à ses hôtes). Au crédit de cela, le professeur souligne ou explique la présence des guillemets encadrant tout le texte A.
Comme ces informations disparaissent dans le paratexte et la présentation du manuel B, nous préférerons travailler sur le texte du manuel A muni de son chapeau introducteur. Par ailleurs, ce choix se justifie quant aux traductions proposées : celle de Leconte de Lisle# (B) est plutôt une adaptation simplifiée; celle de MM. Dufour et Gomez# (A) est certes plus difficile d'accès mais nous semble plus fidèle au texte original, plus riche, plus littéraire et bien représentative du « style oral de l'aède grec». Il serait intéressant de mener, à terme, une activité de comparaison entre la traduction A et celle de B, que les élèves ont lue en cursif. De cette activité émergeraient les principales différences : suppression de parties de texte (d'actions, de paroles), suppression des détachements ou inversions de l'ordre dans la phrase (épithètes antéposés) caractéristiques, faible présence d'épithètes homériques, vocabulaire simplifié, disparition des formes d'oralité. Cette activité peut se conclure par l'amorce d'une réflexion sur le fait que les différentes traductions sont autant de réécritures de L'Odyssée d'origine (en vers et en grec ancien).
Poursuivons l'analyse. L'examen du schéma actanciel est rapide (réactualisation de la notion), elle permet de clarifier le réseau des personnages et leur rôle. Ulysse, narrateur et personnage principal de l'épopée, est le héros (sujet, destinataire et destinateur). Il affronte ici les cyclopes et particulièrement Polyphème dont il est important de rappeler qu'il est le fils de Poséidon (opposants). Il est accompagné de ses amis et aidé par certains dieux comme Athéna ou Zeus lui-même comme dans : un dieu leur a inspiré une grande hardiesse ou le sort désigne ceux que j'aurais moi-même aimé choisir (adjuvants). L'objet de sa quête, rappelons-le, est le retour à Ithaque, mais localement on peut admettre que c'est le sauvetage d'Ulysse et ses compagnons (manuel A, question I.b.).
Quant au schéma narratif (notion réactualisée et renforcée) et au système de temps adopté, les élèves repèrent aisément que l'entrée dans le texte se fait en media res#, c'est-à-dire que sont directement données les péripéties structurées en paragraphes (questions III.b du manuel A) et que le récit est mené au présent de narration (système du présent), question I.c du manuel A. Un relevé des connecteurs spatio-temporels et logiques permettrait de rendre compte de l'adéquation entre étapes ou péripéties et paragraphe dans le texte A#. Il est important de remarquer que le manuel B présentait le texte au système du passé (passé simple). Il nous semble intéressant de montrer aux élèves la diversité des formes narratives : ils ont étudié les contes qui sont généralement au passé simple, ils ont donc déjà abordé ce système de narration, ils découvrent maintenant un récit au présent plus vivant, dans un style « raconté » qui participe de l‘effet de réel. Dans le même ordre d'idées, les élèves, ayant distingué les passages narratifs des passages dialogués grâce à la question I.d du manuel A peuvent comprendre les effets de réel que le dialogue instaure ainsi que sa fonction dans la progression de l'action.
Enfin, le professeur demande où se passent les événements (question I.e. de A). Le paratexte introducteur apporte la réponse : sur l‘île des cyclopes#. Plus précisément, dans la caverne du cyclope. Le professeur demande alors aux élèves de relever dans le texte les éléments descriptifs permettant de la donner à voir : la spacieuse caverne, le feu qui flambe, le fumier répandu dans la caverne en couche large et épaisse, plaque contre la porte la grosse pierre, la roche, cavernes environnantes entre les pics battus des vents, du fond de sa caverne... Il fait dès à présent remarquer la présence de nombreux adjectifs épithètes qui permettent de caractériser les lieux et sur lesquels nous reviendrons.
Les choses se compliquent quand on aborde la question du temps. Quand? «Après une tempête effroyable » certes, mais quand exactement? Revenons sur les sommaires des séquences concernées. La séquence du manuel B présente, sous le titre Ulysse dans l'Odyssée, une sélection d'extraits dont les titres sont thématiques (un peu à l'image de ceux de nos élèves) et peu orientés. En outre, elle rend compte des différents narrateurs de l'épopée et de l'emboîtement des récits (Ulysse devient conteur) tout en gardant un trace de l‘ordre du récit. Le manuel A dans une séquence intitulée « Ulysse, le héros aux mille ruses », propose des titres de séances plus déductifs puisqu'ils parlent déjà d'épreuves, de monstre et orientent plus la lecture; de plus, la sélection ne fait pas apparaître la complexité du récit. Notons à ce titre qu'à l'inverse, nous préférons la formulation des objectifs généraux de séquence du manuel A qui nous semble plus claire, plus conforme à ce que sont les objectifs littéraires et didactiques en termes d'I.O. nous garderons aussi le titre, Ulysse, le « héros aux mille ruses», car cet épithète homérique nous semble symbolique de l‘oeuvre. Reprenons, avec la progression de séquence du manuel B et en s'aidant de l'axe du récit déjà construit, les élèves sont dorénavant en mesure de retrouver, de resituer précisément le passage dans le récit (et de mieux comprendre l‘emboîtement des récits#) et de lui restituer ainsi sa place sur l'axe chronologique de l'histoire (en construction), en d'autres termes de le dater. Seul le manuel B permettait une telle analyse (dernière question), ce point étant totalement occulté dans l'appareil didactique du manuel A.
Pour terminer cette partie, nous voudrions ajouter que nous avons peu traité de la description, qui est pourtant une composante essentielle du pôle narratif, car nous la envisagerons par le biais du traitement des personnages épiques d'Homère dans la partie suivante.

2. Les caractéristiques de l'épopée homérique

Dans un premier temps, nous nous proposons d'étudier le personnage principal, Ulysse, notre héros « aux mille ruses » qui, rappelons-le, est le roi d‘Ithaque, donc un personnage de haut rang. Comment est-il décrit? Par ses actions héroïques et exemplaires, en d'autres termes, par ses qualités#. Comment sont-elles exprimées dans le texte? Ulysse apparaît comme un homme courageux : il prend les initiatives, s'adresse et interpelle le cyclope (le traite de cruel et lui reproche son manque d'hospitalité) et négocie avec lui. Par ailleurs, c'est un bon chef : je la passe à mes compagnons et leur ordonne de..., partager avec moi le risque, j'encourage de mes paroles mes compagnons, mes compagnons se tiennent autour de moi. Il est juste : je presse mes compagnons de tirer au sort ceux qui devront partager avec moi le risque de..., le sort désigne ceux que j'aurais moi-même aimé choisir... Et surtout, Ulysse utilise sa "métis", son intelligence rusée pour vaincre la force. Il a découvert le "talon d'Achille " de l'adversaire : son unique oeil. Il établit alors un plan pour combattre le gigantesque cyclope, il se prépare (confection de l'épieu avec lequel il va aveugler le cyclope), il enivre Polyphème pour mieux le manipuler, et enfin non seulement il ne lui révèle pas sa véritable identité mais en plus il installe un quiproquo comique - en se nommant Personne et en profitant de la crédulité du cyclope (qui est très fort mais pas très fin), ce qui favorisera la fuite de tous à la fin l'épisode (questions II.b et II.c de A, questions 7 et 8 de B). Les deux appareils didactiques consacrent plusieurs questions au héros sous la rubrique Ulysse de la section Étudier l‘épisode (manuel A) et Ulysse et le cyclope de la section Rencontrer un adversaire d'Ulysse (manuel B). On remarque néanmoins que dans le manuel B, dont l'appareil didactique est de toutes façons très bref, les questions sont moins nombreuses et se dispersent avec la première question de la rubrique Expression (écrite ou orale?). De plus, la question 8 est redondante avec la question 7, elle-même déjà très orientée (7.b). Enfin, nous traiterons de la question de l'hospitalité plus tard. Dans le manuel A, la question II.a nous semble devoir intervenir comme une inférence des élèves à partir de la question II.b, sans la mêler par ailleurs aux péripéties en outre dégagées plus haut. La question II.c sur « Ulysse aux mille ruses » introduit un travail mené sur les épithètes homériques, que les élèves ont étudiés dans toutes les séances précédentes et dont ils commencent à avoir une certaine expérience. Ils en relèvent d'autres occurrences et constatent une forte présence des adjectifs épithètes sur laquelle nous reviendrons (le doux sommeil, son troupeau à la belle toison, de vin aux reflets de feu, la terre qui donne le blé, la pluie de Zeus, la nuit immortelle, ces paroles ailées, le grand Zeus, le puissant Poséidon). Comme précédemment, la question de l'hospitalité sera abordée plus tard, elle est d'ailleurs bien elliptique formulée telle quelle (les élèves savent-ils ce qu'est exactement le chapeau ?).
Ajoutons qu'il nous parait pertinent d'intégrer l'étude des images dans le fil de l'analyse du texte et notamment au moment de la caractérisation du personnage. Dans le manuel A, les documents iconographiques assurent deux fonctions#: le vase grec de la première page représentant Ulysse aveuglant le cyclope montre combien cette épopée exemplaire était déjà renommée à l'époque antique puisqu'elle figurait sur des objets quotidiens (portée didactique, cf. ci-après). La planche de bande dessinée extraite de La malédiction de Poséidon, éd. Emmanuel Proust, 2002, elle, participe à l'ancrage réciproque dans la mesure où elle vient illustrer le texte mais en éclaire aussi la signification et l'interprétation en en donnant une représentation visuelle. Elle permet de rendre compte du gigantisme de la caverne vu précédemment, de l'énormité du cyclope et de sa monstrueuse laideur et sa terrifiante cruauté sur lesquelles nous reviendrons dans la suite de cet exposé#. Dans le cas présent, elle donne surtout à voir Ulysse et ses compagnons (qui sont, eux, mis à l‘arrière plan), leur taille minuscule (dans les vignettes 2 et 4, Ulysse lève la tête pour parler au cyclope), leurs costumes antiques, leurs armes dérisoires. En pratique, seules les questions IV.a, IV.b et seront conservées#.
Remarquons pour finir que la question IV.c permet de conclure par la moralité épique. Ulysse est un homme et non pas un dieu mais un homme hors du commun, un héros doté de qualités exceptionnelles, qui donne l'exemple, celui de la victoire de la ruse sur le monstre. C'est là l'enseignement à tirer de l'épisode, sa portée didactique.

Dans un deuxième temps, nous examinerons l'adversaire d'Ulysse. Par quels noms est-il appelé? Polyphème, le cyclope.
Le professeur décide, pour commencer, d'examiner l'étymologie du mot cyclope. Il s'agit surtout de faire comprendre aux élèves que notre langue romane s'est enrichie de mots empruntés à la langue grecque ancienne, eux-mêmes créés par la composition de mots. Tout d'abord, il précise que, dans le texte A, ce nom commun est écrit avec une majuscule, ce qui ne se justifie pas. L'appareil didactique A sépare cette étude de l'analyse et la propose à la fin (Enrichissez votre vocabulaire), avec une formulation très orientée. En revanche, l'appareil didactique B propose ce travail pendant l'analyse mais un peu tard : l'étude lexicale suppose de travailler sur les mots en contexte, ils participent ainsi à la construction de l'interprétation du texte. Puis, le professeur peut poursuivre par l'examen de la construction du mot Polyphème. Poly- est un suffixe scientifique usuel qui vient du grec polloí signifiant plusieurs. Le radical -phème vient du mot grec signifiant celui qui parle, Finalement, par composition, on obtient celui qui parle beaucoup. Il y a, en outre ici, un astucieux jeu de mots, en grec, dont la traduction ne peut rendre compte. En simplifiant, Personne se dit outis alors que Ulysse se dit Otis, diminutif de Ottissus (Odissus qui donna Odyssée), le cyclope serait alors victime d'une « poly-phonie » ou plutôt d'une « polyphémie ». Polyphème le trop bavard serait en fait vaincu par la langue, par une ruse de la langue.
Comment le cyclope est-il décrit, dans le texte et dans les images? Les élèves mentionnent très probablement l'image en premier et plus particulièrement l'aspect hideux, monstrueux et terrifiant du personnage dans les vignettes un et cinq. Ils évoquent la disproportion entre le géant et les humains (auquel la taille de la vignette un contribue). Les questions IV.b et IV.f de la section Observer l'illustration de A vont dans ce sens mais, nous le répétons, elles doivent être vues au fil de l'analyse. Dans le texte, le cyclope n'est pas décrit physiquement mais en action, par le biais de ses activités : s'occuper de son troupeau, se préparer à dîner... Les deux appareils didactiques commencent leur étude par cette question. Du point de vue du caractère, le géant semble naïf : il se laisse enivrer par Ulysse et croit docilement à ses mensonges pour finir par se ridiculiser devant ses congénères. Son comportement est cruel : par deux fois, cette espèce de cannibale mange les compagnons d'Ulysse (il saisit encore deux de mes hommes ensemble et prépare son souper) et violent : sa voix puissante, me répliqua-t-il d'un coeur impitoyable. Il est grossier et répugnant : de sa gorge jaillissent du vin et de la chair humaine; il rote dans son ivresse. Tout en lui inspire le dégoût, la répulsion et la peur. Cette force et cette violence sont rendues par un procédé : le grossissement épique caractéristique de l'épopée et du registre épique, déjà évoqué avec la vignette 1. Il se traduit par le haut degré et l'hyperbole ou la métaphore hyperbolique comme dans joie formidable; profonde cour; pur jus de nectar et d'ambroisie; irrésistible dompteur; terrible est le gémissement qu'il pousse, la roche le répercute tout alentour; les cavernes environnantes entre les pics battus des vents; à grands cris; nuits immortelles. Ces points sont rapidement envisagés dans l'appareil didactique A avec les questions II.b et IV.c. Dans celui de B, seule la question 8 aborde le problème et elle nous semble trop orientée.
La question III.c de A et la première question de Faisons le point de B permettent de rapprocher le cyclope de l'ogre, figure des contes bien connue des élèves et d'introduire ainsi le merveilleux de l'Odyssée. Les monstres y sont des êtres irréels, surnaturels, qui vivent dans un univers merveilleux. Les lois de cet univers, même si elles sont différentes de ceux du monde réel, sont acceptées comme allant de soi par un lecteur qui n'est pas surpris de rencontrer des dieux, des cyclopes ou des sirènes#. Dans l'épopée, le lecteur adhère avec passion et enthousiasme, ce n'est pas un accord critique et raisonné sinon le merveilleux serait impossible. Parmi les codes de cet univers homérique figure celui de l'hospitalité auquel adhère bien sur le héros (Ulysse veut voir si les cyclopes sont sauvages ou violents ou s'ils accueillent l'étranger et respecte les dieux) mais que le cyclope, cet odieux personnage, bien entendu transgresse : tu agis au mépris de toute loi en mangeant ses hôtes. De par leur portée didactique, ces lois relèvent aussi d'une moralité épique. Pour terminer sur ce sujet, le professeur invite ses élèves à retrouver la morale de l'épisode explicitée à la fin de l'extrait : « Cherche-t-on à te tuer par ruse ou par violence ?» demandent les cyclopes à Polyphème qui répond « C'est Personne [qui me tue], par ruse et non par violence ». C'est bien grâce son habile tour, à sa métis que le héros parvient à vaincre la force symbolisée ici par un monstre géant#.
Parmi les caractéristiques propres à l'épopée antique figurent les marques d'oralité sur lesquelles nous terminerons cette partie de l'exposé. Elles jalonnent le texte. Les élèves relèvent ainsi parlé-je (2 occurrences), ainsi parle-t-il, ce disant, ainsi parlent-ils, puis émettent l'hypothèse qu'elles servent à l'aède pour rythmer son récit oral, son chant, comme des « tics » de langage pour l'aider à mémoriser des textes extrêmement longs. Elles constituent une caractéristique du style oral de l'aède au même tire que les adjectifs épithètes auxquels nous allons maintenant consacrer la dernière partie de notre exposé.

3. L'adjectif épithète : fonction et place.
Du point de vue maîtrise de la langue, il nous semble que l'importance des adjectifs dans ce passage a suffisamment été dégagée de ce qui précède pour en justifier une synthèse. Rappelons que ce travail intervient dans le cadre d'une progression transversale à la séquence qui traite de la détermination dans le groupe nominal; les déterminants ayant été abordés précédemment, il s'agit d'examiner maintenant l'adjectif épithète comme première expansion du nom.
Le professeur commence par réactiver les compétences relatives à l'adjectif du point de vue de la forme, de la nature et de la fonction (relevez un adjectif épithète, un adjectif attribut et un adjectif mis en apposition : grande massue, n‘est plus supportable, encore vert pourtant ou épouvantés - participe passé employé comme adjectif). Puis, les élèves se concentrent sur les adjectifs épithètes qui apparaissent pour qualifier le nom, le déterminer (donner des détails à son propos), qui en constituent une expansion. Un lien est établi avec les épithètes homériques déjà étudiées. Enfin est envisagée la place de l'adjectif épithète : antéposé ou postposé (en relever quelques occurrences : doux sommeil, belle toison, chair humaine, nuits immortelles...). Le professeur amorce, selon une méthode inductive, une réflexion sur la longueur de l‘adjectif comme critère pertinent. Pour terminer, il sensibilisera les élèves à notion de thème, généralement sujet de la phrase# et de ses rapports avec l'emphase et les déplacements dans la phrase (comme dans Terrible est le gémissement qu'il pousse, c'est Personne que m'appellent ma mère, mon père et tous mes compagnons et dans une moindre mesure dans la spacieuse caverne, la profonde cour) pour aboutir à une caractérisation plus précise du style oral de l'aède déjà esquissée avec les épithètes homériques (voix puissante, le puissant Poséidon) et les marques d'oralités auxquels s'ajoute donc la présence de nombreux adjectifs épithètes déterminatifs parfois marqués thématiquement.

La séance est conclue par un bilan oral fait par les élèves. Nous nous attendons à ce qu'ils mentionnent un genre didactique différent du conte, l'épopée et sa moralité; une forme de discours, la narration mais aussi une forme orale avec le style épique de l'aède; le récit complexe et l‘emboîtement de récits; les figures, récurrentes en littérature, du héros épique et du monstre; l‘adjectif homérique et les expansions du nom. A l'issue de ce bilan, les élèves sont invités, au titre de l'évaluation sommative de la séance, à effectuer un travail d'écriture. L'expression du manuel B pourrait convenir, étant entendu que la lecture cursive aurait permis de prendre connaissance de la fin de l'épisode, quand Ulysse, hors de danger, révèle sa véritable identité à Polyphème, le fils de Poséidon (sans cet élément la question est contradictoire avec le nom propre Personne). Pour réinvestir des compétences narratives et non explicatives, nous lui préférons l'exercice suivant : Racontez la fin de l'épisode en adoptant le « style de l‘aède »#, accompagné de la question : En quoi cet épisode est-il la cause de la suite des mésaventures d'Ulysse? La correction de ce travail d'écriture pourrait aboutir à un débat oral : l‘épisode d‘Ulysse et le cyclope est-il est un mythe ou bien un récit mythologique? Qu'est-ce qui relève du mythe dans l'épopée d'Homère? Qu'est-ce qu'un mythe? Ce débat est transversal à toute la séquence. Les réponses les plus pertinentes seront notées et seront réorganisées à l'occasion d'une synthèse en fin de séquence. Cette synthèse évoquera la réécriture comme l'un des critères, avec le registre épique dont le style de l'aède est à l'origine, de définition du mythe et il reviendra sur la bande dessinée# qui est déjà une réécriture. Il serait intéressant, comme le manuel B, de proposer en prolongement le poème de Joachim du Bellay. Les élèves auraient ainsi l'occasion de découvrir un intertexte dans un genre différent : la poésie#.

Pour conclure cet exposé, nous ajouterons que la complémentarité et la richesse des documents du dossier nous semble avoir été exploitée au mieux afin de permettre à des élèves de sixième de mieux comprendre « leur présent à la lumière du passé », de leur faire prendre conscience de l'importance de la civilisation mythologique gréco-romaine dans la civilisation occidentale
Cette séquence aura permis d'inaugurer certains grands thèmes de la littérature. Les élèves retrouveront « le héros » dans toute leur scolarité, les récits de voyage et d'aventure en cinquième avec le thème des grandes découvertes ainsi qu'en troisième avec l'écriture du soi voyageur par exemple. Ils reviendront aussi sur l'épopée en cinquième avec les chansons de gestes du Moyen-âge. Tous ces textes faisant plus ou moins écho à l'un des premiers romans d'aventure de l'humanité qu‘est L‘Odyssée. Nous espérons enfin que cette séquence aura permis d'éveiller la curiosité et de développer le goût de la lecture de nos élèves.





Epreuve sur dossier, CNED 2008 - 2009,
Note obtenue : 16/20


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