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Article : [685] - Etudier Barbe Bleue au Lycée


vendredi 11 mars 2011

Par Amilis Dorbe

Il s’agissait de réfléchir aux leçons de ce conte.
Synthèse mise en ligne par Delphine Barbirati.

Réponses

  Réponse 1 :
Il faut commencer par rappeler la nature-même du conte qui les rend ininterprétables. Selon toute vraisemblance, les contes sont les reliquats des plus anciens mythes de l’humanité et ils se transmettent oralement. Il s’agit souvent de récits initiatiques, liés à d’anciens rites initiatiques tels qu’ils étaient effectivement pratiqués, ou de mythes cosmogoniques. Peu à peu, leur signification rituelle s’est perdue mais il en est resté les symboles, devenus mystérieux ou qui ont été réinterprétés au fil des siècles : christianisés à partir du III° siècle et massivement moralisés au XVII°siècle. Ainsi, les Contes de C. Perrault sont-ils psychanalysés de nos jours. Il ne faut donc pas prendre un conte au sens premier mais les nombreuses interprétations viennent brouiller le message.
  Réponse 2 :
Le conte de Perrault lui-même fournit deux moralités. Si on travaille à partir de ces deux moralités, il convient alors de réfléchir à une interprétation socio-historique du conte et de sa leçon.
Pour avoir une idée de ce cadre socio-historique, on peut citer E. Badinter L’Amour en plus qui explique l’infériorité de l’épouse au XVII°siècle. Selon elle, s’entrecroisent l’influence aristotélicienne
(« L’unique vertu morale [qu’Aristote] reconnaissait [à l’épouse] était de vaincre la difficulté d’obéir »), celle de la Genèse qui fait de la femme la coupable des malheurs de l’homme et apparaît "comme une créature faible et frivole", celle de Saint Paul qui recommande aux femmes d’être soumises à leurs maris, comme au Seigneur", ou celle d’un prédicateur comme Benedicti (« Si la femme veut s’emparer du gouvernement de la maison contre la volonté de son mari quand il le lui interdit pour quelque bonne raison, elle pèche, car elle ne doit rien faire contre son mari auquel elle est soumise par le droit humain et divin »). E. Badinter rappelle également que « les conditions du mariage n’impliquaient pas que soient satisfaits l’amitié et encore moins le désir ». Comptent l’homogamie, la dot, la vertu de la promise. C’est donc la crainte qui domine dans les relations familiales, l’épouse étant châtiée aussi bien que l’enfant.
  Réponse 3 :
La demoiselle ne voit dans cette union que des avantages : l’argent et la liberté de vivre ce qu’elle a envie de vivre, les plaisirs d’une vie de femme qui a fait un beau mariage. A cette époque, mari et femme ne se rencontraient pas comme de nos jours. La laideur du mari ne devait pas être un critère déterminant. Cette femme outrepasse le contrat car elle est gourmande : elle a tout ce qu’elle voulait et elle en veut plus. Pourquoi ? Aucune explication n’est donnée à moins que l’auteur n’ait voulu montrer que la gente féminine est ainsi faite et que les hommes doivent être sévères et dominateurs avec leur épouse.
  Réponse 4 :
Le conte mettrait en scène une femme qui dépasse les limites. Elle a tout : un mari confiant, de la richesse, un beau mariage -c’est même elle qui a décidé d’épouser la Barbe bleue après avoir été éblouie par ses largesses. Il est possible par conséquent de considérer que cette demoiselle qui outrepasse les interdits et obéit à une curiosité irrépressible ressemble à une enfant.
  Réponse 5 :
Le sang est celui de la menstruation. Tant qu’elle ne la voit pas, la femme reste impubère. Une fois qu’elle a eu ses règles, qu’elle a vu le sang, elle voudrait bien revenir en arrière, effacer le sang sur la clé, mais c’est trop tard. La jeune femme appelle la fratrie à sa rescousse. C’est par les frères que s’opèrera la régression qu’elle souhaite. Ils tuent le mari et elle revient dans sa famille, qu’elle a quittée trop tôt, apparemment.
  Réponse 6 :
Force et faiblesse apparentes mais c’est le faible qui l’emporte dans le conte grâce à ses auxiliaires, sÅ“ur et frères. On récupère toutes les fabuleuses richesses du monstre.
  Réponse 7 :
Il ne faut pas oublier que Perrault était précepteur et que son message se devait d’être relativement simple et non aussi compliqué que ce que la psychanalyse actuelle veut faire croire. La morale de l’histoire serait alors simplement que la jeune fille aurait dû faire confiance à
sa première impression, que malgré son argent et sa bonne éducation, cet homme n’était pas quelqu’un de bien, et qu’il ne faut pas se fier aux apparences d’honnêteté. C’est là un thème très présent chez Perrault.
  Réponse 8 :
Cette réponse doit être nuancée puisque C. Perrault destinait ses contes à un public de lettrés et de mondains, sans compter que le matériau sur lequel il a travaillé était à l’origine destiné aux adultes, lors de veillées. On peut donc légitimement penser que malgré les modifications apportées par l’auteur, tant au niveau du style que des épisodes conservés, il perdure
quelque chose des récits plus anciens et que ce quelque chose qui résiste à toute simplification est justement ce qui pose problème.
  Réponse 9 :
biographie de C. Perrault ; sur ce site, on pourra lire que « la prétendue destination des Contes aux enfants est une subversion du genre, procédé qui, inauguré par Perrault et repris après lui aux siècles suivants, répondait à une visée idéologique : la langue des contes était considérée comme la langue des nourrices, et donc, métaphoriquement, comme la langue maternelle de la France. Issus du folklore populaire français pour la plupart, les contes adaptés littérairement par Perrault n’appartenaient aucunement, en réalité, à la littérature enfantine, mais à une littérature orale ».
  Réponse 10 :
L’interprétation religieuse est compatible avec l’époque de Perrault. La jeune fille est comparable à Ève pour sa curiosité tragique. Quant à la Barbe bleue il possède quelques traits diaboliques (tentateur, couleur de sa barbe perçue par certains comme noire avec des reflets bleutés). Dieu est présent dans le conte puisque grâce aux prières de l’épouse, surviennent providentiellement les frères qui tuent le maléfique mari. On peut ainsi comparer ce conte avec le mythe de la chute dans la Genèse et y voir un récit sur la perte de l’innocence et la découverte du mal et du bien. Tout d’abord, on peut comparer l’Éden et la demeure paradisiaque de Barbe-Bleue. Ensuite, de même que l’homme et la femme (Adam et Ève) n’ont pas le droit de toucher aux fruits de l’arbre de la connaissance, de même, la femme ne doit pas ouvrir le petit cabinet ; il y a transgression de l’ordre donné et accès à la connaissance du Bien et du Mal dans un cas (La Genèse), du mal dans l’autre (Barbe Bleue). On peut aussi établir un parallèle entre la clé (qui ouvre l’accès à la connaissance) et le fruit. Adam et Ève se découvrent nus (ils prennent donc conscience que la nudité n’est pas innocente mais qu’elle est chargée de sens) et se cachent de Dieu alors que la femme tente de cacher la clé à son époux (elle ne la lui remet que difficilement) parce qu’elle porte la trace de sa connaissance du mal. Il y a ensuite le châtiment : travail, enfantement dans la douleur, vie de mortels pour Adam et Ève et menace de mise à mort pour la femme de Barbe Bleue.
  Réponse 11 :
P. DELARUE et M.L. TENEZE in Conte populaire français rapprochent ce conte de l’histoire biblique de Judith.
  Réponse 12 :
Dans le cadre mythologique, la jeune fille peut être comparée à Pandore : l’ouverture de la boîte étant à mettre en lien avec l’ouverture du cabinet.
  Réponse 13 :
Les choses se compliquent avec les interprétations modernes de nature psychologiques ou psychanalytiques : l’interdit de Barbe bleue est quelque peu pervers : il insiste tellement sur l’interdiction qu’il ne peut que donner envie de transgresser. L’interdit ayant été enfreint, il lui est loisible d’assouvir ensuite ses pulsions sadiques et meurtrières de manière
« légitime ».
  Réponse 14 :
Le cabinet secret et interdit pourrait être la métaphore du passé amoureux du mari : la leçon serait donc qu’il n’est pas bon d’aller dans le jardin secret de l’autre, dans ses relations amoureuses et/ou sexuelles antérieures.
  Réponse 15 :
De manière générale, la clé tachée de sang et le cabinet des horreurs sont rattachés à la sexualité. La barbe du personnage renverrait à une virilité exacerbée. Par ailleurs la clé serait phallique. Quant au sang, il serait signe de l’infidélité de la jeune femme, ce qui expliquerait qu’elle soit punie de mort. Le cabinet symboliserait donc un interdit fort, celui de la sexualité.
  Réponse 16 :
Si le conte aborde les relations entre homme et femme, il est question de la peur de l’autre et du fonctionnement épouvantable de sa jouissance, qui est, peut-être, synonyme de mort pour le sujet.
  Réponse 17 :
Les autres femmes, dans Barbe-Bleue représentent toutes les femmes, dont la sexualité est liée au sang. Les contes s’adressent aux enfants. Ils disent tous que le passage à la sexualité est terrifiant mais qu’il se réglera de façon merveilleuse.
  Réponse 18 :
Il faut faire référence à B. BETTELHEIM qui, dans La psychanalyse des contes de fées, se fonde sur l’attitude contradictoire de la jeune femme qui ne cherche pas à s’enfuir, ni à demander l’aide de ses invitées, une fois les cadavres de femmes découverts. Ce qu’elle verrait dans le cabinet ne serait que la projection de ses fantasmes d’angoisse à l’égard de la sexualité.
  Réponse 19 :
Autre source intéressante : M.SORIANO, Les Contes de Perrault. Culture savante et traditions populaires.
  Réponse 20 :
On peut également s’appuyer sur C.PINKOLA ESTES Femmes qui courent avec les loups. Histoires et mythes de l’archétype de la femme sauvage, essai dans lequel elle part de contes archétypaux pour analyser les principales problématiques avec lesquelles la femme est aux prises sur le chemin de son individuation et de son épanouissement. Dans une lecture « holistique », elle pense que « l’accès au petit cabinet secret de Barbe Bleue symbolise l’accès au lieu de conscience dans lequel sera démasqué le tyran intérieur : le lieu du crime, lieu de mort de l’être, lieu de prise de conscience. Le prétendu Barbe Bleue n’est qu’un dragon de papier qui double ce qui n’est en réalité une fonction intérieure de l’être qui nous transforme en victimes de tyrans fantoches tant que nous n’avons pas démasqué le tyran intérieur. Lors de son retour, Barbe Bleue, tout coléreux qu’il est, ne peut plus rien faire, son pouvoir est voué à disparaître car l’épouse a trouvé l’accès à ses ressources, à La Ressource (la Providence) : le Bien l’emporte désormais sur le Mal, Barbe Bleue est une figure diabolique, celle du démon intérieur qui nous maintient dans la servitude (telle que La Boétie la définit) jusqu’à ce que nous en décidions autrement. Le sang sur la clé qui ne disparaît pas au nettoyage peut symboliser la faculté de conscience et de vision : une fois qu’on a vu et compris, la lumière est faite et la tache de sang (le crime du tyran) apparaît au grand jour. »
  Réponse 21 :
L’épouse de Barbe Bleue a non seulement attendu et espéré, mais elle a surtout appelé et cet appel est loin d’être secondaire : à quoi sert cet appel puisqu’il n’y a personne ? Que vient faire Anne, dont il n’a jamais été question auparavant, sur le toit ? Le caractère hautement improbable de cette intervention in extremis doit amener à s’interroger. C’est justement cette dimension « d’inquiétante étrangeté » qui règne dans cette partie du conte qui doit permettre de décoder la fonction essentielle de l’appel « Anne ma sÅ“ur Anne... », qui n’est autre que l’appel à Dieu. C’est exactement le « Aide-toi et le Ciel t’aidera ».
  Réponse 22 :
Dans ce conte presque réaliste, la magie opère très peu, si ce n’est la tache ineffaçable de la clé « fée ». La magie est surtout narrative : fascination des formules « Anne, ma sÅ“ur Anne », ce féminin étrange « La Barbe-bleue » pour désigner un personnage masculin, et puis ce cabinet secret, secret parce qu’interdit ou l’inverse... Les mises à mort sont-elles le secret ou le châtiment de la transgression ? Le secret n’est-il qu’un effet de langage ? Et effectivement pourquoi donner un objet dont on ne peut se servir ?

Rapprochements possibles

  BARTOK B., Le Château de Barbe Bleue.
  BREILLAT C., La Barbe bleue ; film de 2008 interdit en salle au moins de 16 ans, mais aucune scène scabreuse, seulement une certaine violence psychologique dans les rapports entre les sÅ“urs, qui se traduit par la mort accidentelle d’une fillette.
  CHABROL C., Landru ; personnage ambigu pouvant alimenter le débat.
  CHABROL C., Les Fantômes du chapelier ; lointaine variante du conte, Télédoc à consulter.
  CHAPLIN C., Monsieur Verdoux ; film de qualité, personnage ambigu.
  GANDILLOT T., La Chambre de Barbe-Bleue.
  LANG F., Le secret derrière la porte ; seule la fin diffère ainsi que le contenu de la chambre fatale, mais c’est une lecture psychanalytique du conte très intéressante.
  LUBITSCH E., [La Huitième femme de Barbe Bleue ; comment tout tenter pour être la dernière femme épousée.
  TOURNIER M ., Gilles et Jeanne ; roman qui confronte les deux « images » de Gilles de Rais et Jeanne d’Arc. Informations ici.

Sites utiles

  La fabrique à théâtre, troupe de théâtre qui propose pour la région parisienne des adaptations baroques des contes de Perrault.
  Weblettres, cours et séquences.


Ce document constitue une synthèse d’échanges ayant eu lieu sur
Profs-L (liste de discussion des
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