WebLettres : Dossiers et synthèses

La question était de savoir si l’on peut envisager l’étude en PremiÚre du Malade imaginaire et de connaître d’éventuelles références pour mener cette étude.

De la pertinence du choix

Les avis réservés

 ► Le seul intérêt que j’y vois, serait que vous ayez à disposition l’enregistrement d’au moins deux mises en scÚne différentes (et suffisamment intéressantes) de la piÚce, ce qui permettrait de la faire passer au bénéfice de l’orientation suggérée par l’objet d’étude « texte et représentation ». Sinon, je ne vois pas, a priori en tout cas, quelles problématiques suffisamment intéressantes on pourrait élaborer sur cette piÚce pour un travail en PremiÚre. Mais d’autres collÚgues apporteront peut-être des idées différentes.
 ► Il me semble que votre démarche n’est pas trÚs bonne, si vous me permettez une critique. Au lieu de vouloir démontrer aux autres avant tout que cette piÚce peut tenir la route au lycée, je me demanderais surtout en quoi elle peut correspondre aux apprentissages que je veux dispenser à mes élÚves de PremiÚre et si elle est adaptée à mon projet, à une intuition et à leur niveau. Une fois les réponses trouvées à ces préalables, les « critiqueurs » se trouvent balayés d’office. Ceci dit, on peut même étudier les Contes de Perrault à l’Université. Tout dépend de ce que l’on met dans la boite, si je puis dire. Mais inversement, je ne crois pas comme l’affirmait une de mes ex-collÚgues que l’on peut faire la même chose de la maternelle à la Terminale. C’est pousser le bouchon un peu loin, non ?

Les avis positifs

 ► Il me semble que la précaution essentielle consiste à vérifier que les élÚves ne l’aient pas déjà étudié (du moins pas un trop grand nombre d’entre eux). Ensuite, dans la mesure où vous allez les faire travailler sur la mise en scÚne, vous saurez adopter une démarche conforme à leur niveau et aux attentes de l’examen. Il faut aussi être certain que vous ayez un support d’étude concernant la mise en scÚne (un spectacle vu ensemble, une ou plusieurs vidéos).
 ► Non je n’ai pas bondi devant mon écran, faisant partie en tant qu’enseignante et en tant que formatrice de ceux qui souhaitent ne pas « saucissonner » la littérature !!! Oui à votre choix.
 ► Je vous approuve sans réserve. Il m’arrive d’étudier ces textes que l’on « réserve » bizarrement aux élÚves plus jeunes. [...] Avez-vous pensé par exemple à utiliser quelques textes écrits par des médecins au XVIIe ou la biographie de Harvey « l’inventeur » de la circulation sanguine ? Voyez aussi La BruyÚre pour l’hypocondrie.
 ► Je vous encourage dans votre entreprise, que j’ai déjà tentée (et réussie) il y a une dizaine (voire plus) d’années. [...] J’avais construit le cours « moi-même » à partir des notions clefs de l’étude de texte de théâtre (scÚne d’exposition, dénouement etc.) constructions de schémas actantiels (je sais trÚs à la mode alors... mais j’opérais de façon dynamique, en les limitant parfois à une seule scÚne et en les faisant établir du point de vue de chaque personnage, ce qui rendait les choses parfois étonnantes).
 ► Tout à fait d’accord avec vous, nombreux sont parmi mes élÚves de Seconde ceux qui n’ont pas étudié un « MoliÚre » durant leurs années-collÚge.... Petite remarque au passage : le titre de cette piÚce lu à l’envers donne « L’Imaginaire Malade »....!!! Dans son obsession de « santé » dans son « angoisse de mort » notre personnage montre bien qu’il est en panne d’imaginaire, de désir d’où le monologue inaugural de la piÚce trÚs « beckettien » avant la lettre. c’est une parole « malade », autiste. Il serait intéressant d’observer les manifestations de cette « contamination » dans la piÚce, tant dans le langage que dans la dramaturgie.
 ► Le choix du Malade imaginaire est tout à fait intéressant en premiÚre, et je l’ai déjà étudié dans cette classe il y a une dizaine d’années. Non seulement il peut s’inscrire dans la problématique « texte et représentation » mais il permet l’étude d’autres problématiques classiques de l’étude des textes théâtraux, avec une certaine originalité, même.

Quelques références pour mener l’étude

Des ouvrages

 ► Avec peut-être une aide du cÃŽté du Parcours de lecture de Jean JORDY si mes souvenirs sont bons, chez Bertrand-Lacoste...
 ► Il y a le livre de RYNGHAERT lire le théâtre contemporain collection « Lettres sup » édition Dunod qui aborde bien (je trouve) les pistes d’étude de « tout texte théâtral » sans présupposé de niveau de récepteur :.

Des liens

 ► Vous trouverez un secours sur ce site. Cliquez « En 1ES » puis sur « Théâtre ». Un paragraphe justifie ce choix. Voici un fragment de l’argumentaire : « Outre la satire de la médecine, la science ici réduite au charisme, ne serait-ce pas plus profondément
l’intolérance qui est visée et combien défaite ? On croit tous, derriÚre Hugo, qu’une tête bien pleine est propre à la réflexion, à l’écoute, à la paix sociale. Or MoliÚre met à mal de telles œillÚres. » Cette étude n’a pas posé de problÚme à ma hiérarchie, ni à mes chers collÚgues. N’étudie-t-on pas les Fables de la Fontaine du primaire à l’université, sans coup férir ?
 ► Le texte de la piÚce est en ligne
 ► Sur la mise en scÚne de Nauzyciel on trouve des choses sur theatreonline
 ► On peut aussi consulter le site du théâtre de Montreuil
 ► Il existe une autre mise en scÚne qui doit tourner en France, celle de Philippe Faure, voir les lieux et dates sur ce site portail de la culture

Réflexions

 ► On peut y analyser diverses « représentations » du pouvoir, dont sa contestation selon la thématique « maître et valet » avec le couple infernal Argan / Toinette, tout aussi pertinent que le couple « Dom Juan / Sganarelle » et qui ajoute la dimension « sexiste ». Cette contestation atteint son apogée lors de la scÚne I, 5 à propos du mariage contre-nature d’Angélique, dont Toinette prend évidemment le parti. Cette scÚne, qui comporte de nombreuses didascalies de mouvement, explicites et implicites dans le dialogue, se prête à des hypothÚses de représentation).
Mais on peut aussi étudier le pouvoir spectaculaire et charlatanesque des médecins sur les malades à la fois d’un point de vue textuel (en comparant les scÚnes qui mettent Argan aux prises avec son médecin à qui il obéit aveuglement et la scÚne de parodie-détournement, celle du poumon (III,10, voire la série III,8-10) et d’un point de vue « représentation » (même sans voir de vidéo ou d’images réalisées). Faire réfléchir à la représentation du fauteuil, du lit, des potions, des médecines, du clystÚre (qu’on peut d’ailleurs rendre « fantastique » et « symbolique » de l’envahissement du pouvoir des médecins dans la maison, invasion marquée par l’apparemment heureuse fin du IIIe intermÚde, qui s’il résout les douleurs sentimentales d’Angélique, n’en atteste pas moins qu’il a fallu passer par la dictature de la médecine, même en la parodiant). Imaginer le déguisement de Toinette, la mise en scÚne de ce IIe intermÚde : tout cela relÚve d’une étude de la représentation, et selon les réponses, on ira vers une lecture farcesque, comique, ou tragique de la piÚce : car cela peut amener, entre autres, à un débat (pascalien) sur les signes spectaculaires du pouvoir et l’illusion de force qu’ils donnent.
Cela nous mÚne à une autre piste : le pouvoir illusoire d’Argan sur Toinette et sur sa famille (évidemment la scÚne I,5, mais aussi les scÚnes de la fausse mort III,12-14.) qu’on peut étendre au pouvoir illusoire des « puissants » face au monde « réel » (les Diafoirus pÚre et fils incapables de mener leur entreprise matrimoniale, en dépit de leur latin, de leur science, et Argan qui se ferait rouler par sa femme sans le bon sens de Toinette).
Cela mÚne au thÚme-structurant la piÚce celui du masque et de l’hypocrisie. (Montrer par l’étude du texte dit et des situations mises en jeu, comment à un moment ou à un autre, tous les personnages « masquent leurs intentions réelles » et jouent une comédie aux autres, quelles que soient la « justesse » de leurs intentions !)
Dans la représentation, cela se voit par les costumes, et les scÚnes de « théâtre dans le théâtre » (Cléanthe en maître de chant pendant la scÚne des Diafoirus (II,5), la scÚne du poumon, les fausses morts d’Argan, le IIIe intermÚde cérémonie finale)
A cette série on ne manquera pas d’ajouter la scÚne II,8, où Louison, « petite masque » (sic) vient faire sa « récitation » : « Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau d’Ane, ou bien la fable du « Corbeau et du Renard », qu’on m’a apprise depuis peu. »). L’adverbe « Assurément » qu’on peut entendre « Assure et ment » est employé à deux reprises, par le pÚre et sa fille qui jouent aussi à qui trompe qui. (On trouve cet adverbe 9 fois dans toute la piÚce dont les deux emplois savoureux de Béline et Toinette en III, 12, à propos de la fausse mort d’Argan) : ça en dit long sur ce thÚme du masque !
 ► Arthur Nauzyciel a mis la piÚce en scÚne il y a 5 ou 6 ans et la reprend cette année (au CND de Montreuil du 3 au 16 mai 2004). L’intérêt en est le suivant : on joue la piÚce de MoliÚre mais comme une répétition à laquelle MoliÚre participe en acteur et directeur (rÃŽle dédoublé), et on y ajoute un texte d’un livre qui s’appelle Les silences de MoliÚre. Cette scÚne précÚde la scÚne de Louison qui est jouée par la même actrice adulte : elle est trÚs belle et émouvante. (A l’origine c’était Catherine Mouchet la ThérÚse d’Alain cavalier qui a créé le rÃŽle).
MoliÚre-Argan est assis dans un fauteuil placé au centre exact des gradins dont on a ÃŽté les siÚges placés entre son fauteuil et la scÚne et il regarde entrer sa fille jouée par une actrice adulte (Catherine Mouchet à la création en 99) qui est à la fois la fille de MoliÚre, celle d’Argan, et l’actrice qui vient « réciter » au pÚre-acteur-metteur en scÚne sa scÚne. A la fin de la scÚne, l’acteur reste sur son fauteuil immobile, tandis que l’actrice, tout en transformant le lieu scénique de chambre en maison entiÚre dit un long monologue extrait du Silence de MoliÚre où la fille de MoliÚre qui joua effectivement cette scÚne, raconte combien ce moment qui précéda de peu la mort (réelle) de son pÚre la marqua pour la vie qu’elle mena recluse dans un couvent. Elle sortait et Béralde entrait pour l’acte III.
On peut comparer cette mise en scÚne « décalée » avec les images attendues qu’on trouve dans les petits classiques, pour montrer cette dimension de la piÚce qui montre que même ce moment édénique d’une vraie entente entre le pÚre et la fille (image rare chez MoliÚre) est « gâté de l’intérieur » par celui des intrigues (le pÚre qui utilise sa fille comme espionne, la fille qui protÚge et trahit en même temps sa sœur, la sœur qui désobéit à son pÚre dont l’ordre est contre-nature), scÚne prélude à l’acte des révélations, bien plus tragiques !
On peut opposer « la belle mise en ordre mathématique », qui ouvre la scÚne initiale : « Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt ; trois et deux font cinq. » au burlesque désordre du ballet final qui semble dire « tout est bien qui finit bien » alors que les derniers mots entendus sont : « Et seignet et tuat ! » dont la traduction est évidente et rime avec la fin du monologue d’Argan qui ouvrait la piÚce : « Ah ! Mon Dieu ! Ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin », dans un ballet de clochette tout aussi burlesque et tragique.
Du reste Arthur Nauzyciel finissait sa mise en scÚne en laissant Argan seul sur le plateau, dire en boucle cette phrase, assis dans le « vrai fauteuil de la comédie française » et agitant en vain la sinistre clochette, tandis que le noir se faisait lentement. ».
Enfin, derniÚre remarque, Arthur Nauzycuel faisait remarquer qu’on disait beaucoup « naturel- ment » dans cette piÚce, et qu’il avait « nourri » les acteurs de ce jeu de mot.
Plus tard j’ai étudié ce texte en parallÚle avec Le Roi se meurt (pour la critique des médecins).