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Article : [325] - Le thème de l’enfant dérobé


mardi 12 juillet 2005

Par Isabelle Ducos

Il s’agissait de recenser des Å“uvres sur le thème de l’enfant dérobé.
Synthèse mise en ligne par Valentine Dussert.

Œuvres littéraires par ordre alphabétique

  BEAUMARCHAIS, Le Mariage de Figaro.
  CALDERON P., La Vie est un songe (le jeune Sigismondo se comportera-t-il comme le prince qu’il est ou comme monstre ?).
  CERVANTES, Nouvelles exemplaires, « La Petite Gitane » (Preciosa a de grandes qualités qui contredisent son statut social et à la fin, on découvre qu’il s’agit d’un personnage noble : finalement une stabilisation de la société) et « La Force du sang » (Leocadia se fait violer par un noble qu’elle ne connaît pas, en a un enfant et finalement cet enfant est reconnu par le noble père du violeur. Mariage à la clef, tout s’arrange) ; ces deux nouvelles travaillent sur les contraintes du roman picaresque et lui donnent un nouveau sens.
  CORMONT E. et ENNERY (d’) A., Les Deux Orphelines.
  FEVAL P., Le Bossu.
  GAUTIER T., Le Capitaine Fracasse (Isabelle, qui se révèle être noble, ce qui rend son mariage possible).
  HUGO V., L’Homme qui rit (le héros a été dérobé par des bohémiens).
  HUGO V., Lucrèce Borgia.
  JAY A., Complot à Versailles, ed. Livre de Poche jeunesse (l’héroïne de ce roman de littérature de jeunesse a été enlevée ; la grande quête de la jeune fille est de savoir d’où elle vient : reconnaissance en fanfare à la fin du roman. Les élèves de collège aiment beaucoup ce roman d’aventure dont l’arrière-plan est la cour de Louis XIV).
  MALOT H., Sans famille.
  MAUPASSANT (de) G., « Parricide » (dans La Petite Roque ; c’est le procès d’un jeune homme qui a tué un couple âgé, on découvre que ce sont ses parents naturels qui l’avaient abandonné à la naissance, car ils étaient alors amants) ; « Un fils » (dans Les Contes de la Bécasse ; un bourgeois découvre qu’il a un fils illégitime boiteux et simple d’esprit au fin fond de la Normandie, conçu avec une petite servante aussitôt abandonnée quelques trente ans plus tôt).
  MOLIERE (l’enfant dérobé, perdu ou échangé apparaît surtout comme un moyen facile de dénouer une situation complexe, sorte de deus ex machina).
  PLAUTE, Rudens.
  SCARRON, Le Roman comique.
  SUE E., Les Mystères de Paris (personnage de Fleur de Marie).
  SUPERVIELLE (un roman, Le Voleur d’enfants ?).
  ZEVACO M., Pardaillan.

Remarques et références complémentaires classées par époques

  [Antiquité] Ce n’est pas un thème romanesque à l’origine, mais un lieu commun théâtral qui vient de la comédie grecque et latine : on trouve des exemples chez MENANDRE, PLAUTE et TERENCE (et peut-être même dans la tragédie et dans l’Odyssée). C’est un des formes de la « reconnaissance », qui est d’autant plus forte qu’elle est liée au coup de théâtre (« péripétie »). ARISTOTE parle de la reconnaissance (anagnôrisis) au chapitre 11 et au chapitre 16 de la Poétique. Il distingue deux formes de reconnaissance : la reconnaissance agréable et désagréable, celle qui est révélatrice d’ un amour (philia, qui peut prendre la forme de la reconnaissance d’une filiation ou d’une parenté) ou de haine (ekhtra). Dans le chapitre 16, il parle des divers déclencheurs de la reconnaissance, en prenant ses exemples uniquement dans les tragédies et dans l’Odyssée : les signes distinctifs matériels (semeia, par exemple la cicatrice d’Ulysse), ou les inventions (pepoiêmena, par exemple la lettre qui permet de reconnaître Oreste dans Iphigénie d’EURIPIDE), le souvenir (par exemple Ulysse qui entend la cithare chez Alkinoos, et se met à pleurer), et le raisonnement (logos : par exemple dans Les Choéphores : quelqu’un de ressemblant est arrivé, or nul n’est ressemblant sauf Oreste, donc c’est Oreste qui est arrivé). Évidemment, pour ARISTOTE, il y a une hiérarchie : les grands genres doivent éviter les signes matériels et les forgeries. C’est précisément ces « ficelles » qui vont être développés par la comédie et les romans : l’Odyssée, comportant déjà trop de signes matériels et d’invention, est effectivement au fondement de la littérature romanesque. Le thème de l’enfant dérobé appelle le motif de la reconnaissance par la particularité physique ou le message sous forme d’objet (bijou) ou de texte révélateur.

  [Moyen âge] Enfant dérobé dans la littérature médiévale : Lancelot du Lac, fils du roi Ban, dérobé à sa mère par Viviane-Dame du Lac et élevé dans l’ignorance complète de ses origines ; Nicolette dans la chantefable Aucassin et Nicolette : on découvre à la fin du texte qu’elle est noble, ce qui lève tout obstacle pour son mariage avec Aucassin.

  [XVIIe siècle] A mon sens, ce n’est pas un motif précieux ... Cela va même à mon sens contre leur dynamique. Le personnage principal a une noblesse du sang et une noblesse de moeurs et l’on ne doit pas remettre cela en question. Mais je dois dire que je ne connais pas parfaitement cette époque. Bien plutôt, un motif de la littérature picaresque - voir les nouvelles de CERVANTES mentionnées ci-dessus. Il se peut même que cela vienne du théâtre espagnol. Généralement l’enfant non reconnu est un enfant naturel, né d’une union extraconjugale.

  [XVIIIe siècle] Il faut penser à une thématique du XVIIIe siècle comme celle de LCDR de COURTILS DE CENDRAS avec M. de B+++ qui s’interroge sur sa naissance d’une manière plus ambiguë encore que celle de Marianne. Ce sont des enfants trouvés. Songeons enfin au jeu sur la bâtardise que l’abbé PREVOST met en scène dans Cleveland vis à vis de Cromwell. D’une manière plus diffuse, l’une des nouvelles tragiques des Crimes de l’amour du marquis de SADE met en scène un père qui enlève sa fille pour l’éduquer comme il l’entend et lui éviter de se faire contaminer par les idées de sa mère... une histoire tragique sur l’inceste.
  [XVIIIe siècle] Il s’agit de l’un des thèmes fréquemment utilisés dans le roman d’avant XIXe, avec la reconnaissance, l’enlèvement. Tous ces thèmes ont eu pour effet de faire passer le roman pour un genre peu sérieux, particulièrement décrié aux XVIIe et XVIIIe siècles. Chez Mlle de SCUDERY ou chez LA CALPRENEDE, on doit trouver assez facilement. Dans Le Roman bourgeois, FURETIERE considère, par exemple, que l’enlèvement est un tel lieu commun qu’il affirme avoir pensé laisser une page blanche dans son livre pour que le lecteur complète lui-même avec les stéréotypes dont il est nourri.

  [XIXe siècle] On peut songer aussi à des enfants enlevés à leur classe, grand motif du XIXe siècle que l’on trouve bien sûr dans Aux champs de MAUPASSANT ou encore, de manière beaucoup plus complexe, chez DICKENS dans Great expectations (Les Grandes Espérances) : va -t-il se comporter comme un « monsieur » ou un « paysan » ? Enfin il faut penser au Masque de fer de DUMAS. L’enfant est mis en sûreté... un autre mythe d’abord politique et ensuite poétique, Kaspard Hauser et l’enfant du temple. VERLAINE en a fait un très beau poème. Mais le plus intéressant reste quand même le grand poète allemand TRAKL et son Kaspar Hausers Lied ; à mettre en relation avec le très beau livre de Françoise CHANDERNAGOR. Enfin, au XIXe siècle, certains refusent leur statut et leur naissance, et le mettent en scène : songeons à STENDHAL qui suggère mais ne dit dans Henry Brulard, et bien sûr, comme exemple de vie rêvée, La chartreuse de Parme ; et bien sûr Gérard de NERVAL...

  [XXe siècle] Plus largement, ce thème renvoie au « mythe de l’enfant trouvé » clairement expliqué par FREUD dans un essai : « Roman familial des névrosés » (1909, in Névrose, psychose et perversion)...
  [XXe siècle] Dans Roman des origines et origines du roman (ed. Gallimard, coll. Tel), Marthe ROBERT évoque la question de l’enfant dérobé / trouvé : l’enfant « ayant ainsi interprété le sentiment d’étrangeté que lui inspirent ses anciennes idoles démasquées, il peut désormais se regarder comme un enfant trouvé, ou adopté, auquel sa vraie famille, royale, bien entendu, ou noble, ou puissante en quelque façon, se révélera un jour avec éclat pour le mettre enfin à son rang. »

Quelques films

  BROCA (de) P., Le Bossu.
  CHATILLIEZ E., La Vie est un long fleuve tranquille (qui utilise ce thème de façon savoureuse...).
  HUDSON H., Greystoke (E. R. BURROUGHS).
  VAN DORMAEL J., Toto le héros, avec Michel Bouquet.


Ce document constitue une synthèse d’échanges ayant eu lieu sur Profs-L (liste de discussion des professeurs de lettres de lycée) ou en privé, suite à une demande initiale postée sur cette même liste. Cette compilation a été réalisée par la personne dont le nom figure dans ce document. Fourni à titre d’information seulement et pour l’usage personnel du visiteur, ce texte est protégé par la législation en vigueur en matière de droits d’auteur. Toute rediffusion à des fins commerciales ou non est interdite sans autorisation.
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