WebLettres : Dossiers et synthèses

Localisation dans les rubriques :
Articles et réflexions Travaux de recherche


Article : Les Ă©crivains de Haute-Marne et la Grande Bretagne


lundi 29 décembre 2014

Par Anny Massy

Conférence faite par Annie Massy lors de la première fête littéraire franco-britannique de Saint-Clémentin, Deux Sèvres, le 1er septembre 2012.

Qui a-t-il de commun entre le village de Saint-ClĂ©mentin dans les Deux-Sèvres et le dĂ©partement de la Haute-Marne dans l’Est de la France ? Qu’est-ce qui peut rĂ©unir la communautĂ© britannique de l’un et les amateurs de culture locale de l’autre ? La poĂ©sie, les romans, les essais… Et quand la littĂ©rature devient une fĂŞte, le rapprochement ne pose aucun problème.
C’est ainsi que Annie Massy, reprĂ©sentant l’association haut-marnaise des Ă©crivains est venue prĂ©senter les auteurs de son dĂ©partement qui ont un lien avec la Grande-Bretagne Ă  Saint-ClĂ©mentin : travail finalement aisĂ© puisqu’ils ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© repĂ©rĂ©s par une « Route des Ecrivains de Haute-Marne » mise en ligne sur le site de l’association.
En fait, ce rapport est un aperçu de ceux, plus larges que la France et des Ă®les d’outre-Manche ont entretenu au fil des siècles : cet exposĂ© pourrait donc ĂŞtre Ă  souhait Ă©largi, on y retrouverait nĂ©anmoins les mĂŞmes relations Ă©troites de ces deux pays tant sur les plans historique qu’anecdotique, voire affectif.
Pour une question pratique, la présentation des auteurs haut-marnais en lien avec l’Angleterre puis la Grande-Bretagne, a été classée par ordre chronologique.

I. Le Moyen âge

Les familles nobles, voire royales d’Angleterre et de France sont très unies mais par des liens pas toujours confraternels. Le sire de Joinville (petite ville charmante au centre de la Haute-Marne) en est un exemple représentatif.

Jean de JOINVILLE(1225-1317), sénéchal de Champagne nous est resté en littérature comme le chroniqueur et biographe du roi saint Louis.
A 23 ans, il accompagne Louis IX, futur Saint Louis Ă  la septième croisade. Il est fait prisonnier avec lui et d’autres chrĂ©tiens. Il y gagne fortune et amitiĂ© ; cette croisade est aussi une expĂ©rience inoubliable qui alimente l’essentiel de son Ĺ“uvre littĂ©raire. Il n’accompagne cependant pas le roi Ă  la huitième croisade oĂą il meurt. Mais il n’oublie pas son suzerain bien aimĂ© et se lance dans le rĂ©cit Ă  la fois historique et subjectif de sa vie. Jean de Joinville d’ailleurs apporte un prĂ©cieux tĂ©moignage aux enquĂŞteurs ecclĂ©siastiques et c’est grâce Ă  un miracle qu’il a relatĂ© que Louis IX devient Saint Louis quelques annĂ©es plus tard.

Jehan de Joinville dans son livre des saintes paroles et des bons faiz nostre roy saint LooĂżs recueille des souvenirs qui mettent en valeur les vertus de son bien-aimĂ© suzerain. La biographie tend parfois vers l’hagiographie, non sans une certaine naĂŻvetĂ© lorsqu’il rend compte de la bataille contre les Anglais, sur le petit pont de Taillebourg dans le Poitou, le 21 juillet 1242 :

« Le roi d’Angleterre et le comte de la Marche vinrent lĂ  pour livrer bataille au roi devant un château que l’on appelle Taillebourg, qui est bâti sur une mauvaise rivière que l’on appelle Charente, Ă  un endroit oĂą l’on ne peut passer que sur un pont de pierre très Ă©troit.
AussitĂ´t que le roi arriva Ă  Taillebourg et que les armĂ©es furent en vue l’une de l’autre, nos gens, qui avaient le château de leur cĂ´tĂ©, firent tout ce qu’ils purent Ă  grand-peine et passèrent en prenant de grands risques avec des bateaux et sur des ponts et attaquèrent les Anglais, et l’engagement commença vif et rude. Quand le roi vit cela, il s’exposa avec les autres ; car, pour un homme que le roi avait quand il passa du cĂ´tĂ© des Anglais, les Anglais en avaient mille. Toujours est-il, comme Dieu le voulut, que lorsque les Anglais virent le roi passer la rivière, ils perdirent courage et se jetèrent dans la citĂ© de Saintes ».

En fait l’affrontement n’eut pas le caractère Ă©pique que lui prĂŞte Jean de Joinville : dès les premiers morts tombĂ©s, les nĂ©gociations commencèrent.
La septième croisade ayant Ă©tĂ© une affaire purement française, Jean de Joinville ne relate pas de rencontres avec les Anglais Ă  propos de la Terre sainte. Cependant, il a un autre lien très Ă©troit avec eux et non des moindres : après sa mort, la maison de Joinville passe de la cour de Champagne Ă  celle de Lorraine du fait du mariage d’un de ses fils avec une nièce de sa troisième femme. Par voie directe, mĂŞme si elle se fait parfois par l’intermĂ©diaire des filles, Jean de Joinville a pour descendant Claude de Lorraine et de ce fait, Marie Stuart, James roi d’Écosse et d’Angleterre : autrement dit Jean de Joinville est un des ascendants de tous les rois d’Outre-Manche après Élisabeth Première !

II. Le dix-huitième siècle

Par contre, au l’époque des Lumières, les rapports littéraires entre France et Angleterre sont nettement plus agréables. Les philosophes du continent considèrent les insulaires comme un modèle, tant sur le plan politique, que scientifique, social, religieux, et économique. Trois personnalités du dix-huitième siècle qui sont nés ou ont vécu et créé une part importante de leur œuvre en Haute-Marne l’illustrent.

1) Denis DIDEROT (né à Langres, sud du département en 1713 et mort à Paris en 1784)

Ce philosophe, homme de lettres et de théâtre, est aussi avec d’Alembert le responsable de la publication de l’Encyclopédie. A la base, il y a la Cyclopaedia de l’anglais Chambers que Diderot traduit. Mais c’est bien plus qu’une traduction. Elle devient avec Diderot et D’Alembert une œuvre originale et monumentale (achevée en 1772, 27 volumes de textes et 11 de planches) qui recueille les pensées et les techniques et fait évoluer les idées vers plus de liberté et de tolérance.
Tous les philosophes ont participĂ© Ă  l’EncyclopĂ©die par des articles souvent polĂ©miques oĂą l’Angleterre est toujours une rĂ©fĂ©rence incontournable de modernisme et tolĂ©rance. Comme exemple, on peut citer un extrait de l’article AutoritĂ© Politique dans lequel les nobles Anglais savent montrer du respect envers le roi sans le reconnaĂ®tre de « droit divin » :

« Un Anglais n’a point de scrupule Ă  servir le Roi le genou en terre ; le cĂ©rĂ©monial ne signifie que ce qu’on a voulu qu’il signifiât ; mais livrer son cĹ“ur, son esprit et sa conduite sans aucune rĂ©serve Ă  la volontĂ© et au caprice d’une pure crĂ©ature, en faire l’unique et le dernier motif de ses actions, c’est assurĂ©ment un crime de lèse- majestĂ© divine au premier chef. »

2) Voltaire et la tentation du modèle anglais

En 1725 alors qu’il dĂ©barque en Angleterre, Voltaire est la cible des habitants qui veulent le tuer. Il leur aurait rĂ©pondu :
" Vous voulez me tuer parce que je suis Français ! Mais voyons, ne suis-je pas assez puni de n’ĂŞtre point Anglais,"
Et, bien sĂ»r il aurait Ă©tĂ© alors immĂ©diatement adoptĂ© ! ExilĂ© en Angleterre, Voltaire y poursuit l’Ă©criture de pièces de théâtre et dĂ©couvre Shakespeare qui l’inspire Ă©normĂ©ment (Brutus, 1730 ; Eriphyle, 1732 ; ZaĂŻre, 1732). Il rencontre plusieurs grands noms de la littĂ©rature anglaise, Pope, Swift, auquel il reprendra l’idĂ©e du Voyage de Gulliver pour MicromĂ©gas.
C’est aussi en Angleterre qu’il commence la rĂ©daction des Lettres Philosophiques, d’abord publiĂ©es en anglais. Sous le titre de Lettres anglaises (1734), elles sont condamnĂ©es au feu par le Parlement pour propos subversifs sur la monarchie et la religion.

Mais c’est aussi grâce aux Anglais et plus exactement Ă  ses Lettres Anglaises que Voltaire se retrouve en Haute-Marne. Devant la polĂ©mique qu’elles provoquent, au point de mettre la libertĂ© de son auteur en pĂ©ril, Émilie du Châtelet, admiratrice de l’Angleterre autant que de Voltaire lui propose de l’abriter dans un pavillon de chasse trop excentrĂ© pour qu’on l’y poursuive : Ă  Cirey sur Blaise non loin de la cour de Nancy oĂą est installĂ© le beau-père du roi Louis XV.
En arrivant Ă  Cirey, Voltaire trouve un château sinon dĂ©labrĂ©, du moins très rustique mais qui ne manque pas de charme. En accord avec le marquis du Châtelet, il dĂ©cide de le restaurer et de l’agrandir. Finalement, le lieu n’a rien de dĂ©solĂ© ou rĂ©barbatif. Ce n’est certes pas un palais, mais le très riche Voltaire y ajoute une aile et l’équipe du confort luxueux cher aux favorisĂ©s du dix-huitième siècle. Le philosophe fait de ce relais de chasse un château très confortable, voire somptueux et oĂą les paysans connaissent un sort plus enviable qu’ailleurs ; affranchis dès la fin du 15e siècle, ils jouissent de droits des forĂŞts, partagent le gibier avec les seigneurs lorsqu’ils participent aux battues et peuvent faire paĂ®tre Ă  volontĂ© leur bĂ©tail dans les bois. Ce n’est pas fait pour dĂ©plaire aux esprits modernes.

Voltaire reste quinze ans Ă  Cirey. Il y Ă©crit nombre de ses contes philosophiques et le cĂ©lèbre poème Le Mondain. Il y donne son opinion sur les relations internationales et l’organisation Ă©conomique idĂ©ale fortement inspirĂ©e du commerce anglais :

« Le superflu chose très nĂ©cessaire
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange
Ces nouveaux biens nés aux sources du Gange
Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans
Nos vins de France enivrent les sultans ! »

Mais j’aurais pu tout aussi bien citer la cĂ©lèbre Lettre I sur les Quakers pour montrer la bonne opinion que Voltaire porte sur les Anglais. Il n’est pas le seul : sa compagne, Émilie du Châtelet partage son admiration pour ce pays considĂ©rĂ© comme un modèle.

3) Émilie du Châtelet (Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet _1706-1749)

La prĂ©senter uniquement comme compagne de Voltaire est mĂ©connaĂ®tre, voire rĂ©duire, cette femme exceptionnelle : la libre, Ă©rudite et intelligente Gabrielle Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet parle plusieurs langues, reproduit et dĂ©veloppe des expĂ©riences scientifiques, s’intĂ©resse Ă  l’histoire, Ă©crit des traitĂ©s philosophiques, notamment sur le bonheur. Elle est une spĂ©cialiste des sciences physiques, d’astronomie et de mathĂ©matiques… Elle est aussi une femme Ă©mancipĂ©e avant l’heure qui se baigne nue dans le canal en bas du château et vit librement ses amours. Elle est certes mariĂ©e, mais son militaire d’époux partage rarement sa prĂ©sence et ils mènent en plein accord leur vie chacun de leur cĂ´tĂ©. Elle aime Ă  vivre Ă  Cirey sur Blaise oĂą elle invite Voltaire Ă  se rĂ©fugier. L’ancienne chasse de Cirey-sur-Blaise, sur laquelle a Ă©tĂ© bâti un château est isolĂ© mais c’est aussi une Ă©tape bien pratique entre Paris, le duchĂ© de Lorraine et la cour du roi Stanislas, beau-père de Louis XV, Ă  LunĂ©ville.
Aussi savante qu’anglophile, Emilie du Châtelet traduit, vulgarise et commente de façon très pĂ©dagogique l’œuvre d’Isaac Newton. Sa traduction en français des Principia, livre fondateur de la MĂ©canique classique, dite newtonienne, prĂ©vaut jusqu’au dĂ©but du XXème siècle. Elle maĂ®trisait remarquablement bien le latin et de plus Ă©tait en mesure de comprendre la physique de Newton. A l’époque une traduction en français Ă©tait utile au-delĂ  du royaume de France car c’était la langue de communication des Ă©lites et des scientifiques. Par ailleurs, le latin manquait de mots pour expliciter les nouvelles « vĂ©ritĂ©s mathĂ©matiques et physiques » ; grâce Ă  ses connaissances scientifiques elle a su remarquablement expliquĂ© avec ses propres mots, de sorte que ce traitĂ© ardu devient accessible Ă  un plus grand nombre de lettrĂ©s.
Elle prend parti contre les théories de Descartes et est aujourd’hui considérée comme (avec Newton) pionnière de la pensée scientifique moderne.

Émilie du Châtelet meurt peu de temps après avoir achevé sa traduction commentée de Newton. Mais ensuite, l’œuvre du physicien, et avec elle la culture anglaise, deviennent l’objet d’un engouement qui n’a plus cessé jusqu’à nos jours, provoquant ce déplacement du centre de gravité culturel du Midi au Nord, et des nations latines aux nations anglo-saxonnes, tellement caractéristique du XVIIIe siècle.

« Cirey dans l’histoire intellectuelle ? C’est la fin de l’isolement culturel de l’Angleterre, c’est le dĂ©but de l’anglomanie. » (Hubert Saget in 52 Écrivains haut-marnais, page 140)

Une anecdote prĂ©sente un autre intĂ©rĂŞt surprenant de la connaissance de la langue anglaise Ă  Cirey : Émilie et Voltaire y mènent une vie faite de lectures, poĂ©sies, théâtre, expĂ©riences scientifiques et pique-nique au vin de champagne… mais aussi de disputes et en anglais pour ne pas ĂŞtre compris des visiteurs !

NB : Ces philosophes « haut-marnais » sont aussi des EuropĂ©ens avant l’heure : la bibliothèque de Diderot est achetĂ©e en viager par Catherine II de Russie qui lui assure ainsi une fin de vie tranquille pendant laquelle il peut Ă©crire tout ce qu’il veut sans ĂŞtre inquiĂ©tĂ© et dĂ©velopper des pensĂ©es très audacieuses. Cette bibliothèque part Ă  Saint-PĂ©tersbourg Ă  sa mort avec celle de Voltaire/Émilie Du Châtelet de Cirey vendue par le fils de la châtelaine. Ces bibliothèques sont Ă  la base de la bibliothèque nationale de Russie.

III. Le XXe siècle

1) Un grand bon historique et littĂ©raire et voici : Charles de Gaulle (1890-1970)

Ce cĂ©lèbre homme politique est aussi un grand homme de lettres. C’est d’ailleurs avec ses premiers droits d’auteur (il n’a pas de fortune personnelle) qu’il achète une grande maison Ă  Colombey-les-deux-Eglises, en 1934, Ă  mi chemin entre Paris et les garnisons de l’Est oĂą, il le sait, les conflits vont bientĂ´t reprendre. C’est lĂ  aussi qu’il Ă©crit ses MĂ©moires et est enterrĂ©. Dans son ouvrage le plus cĂ©lèbre, la Grande Bretagne occupe Ă©videmment une part de choix. Il sait ce qu’il doit Ă  ce dernier rempart europĂ©en contre la barbarie nazie. Son attirance pour ce pays n’en est pas moins ambiguĂ« : Ă  la fois fascinĂ©e et mĂ©fiante, comme les portraits qu’il fait de Churchill. Dans L’Appel (1954) il dĂ©crit ainsi son arrachement Ă  la terre de France pour aller continuer la lutte en Grande Bretagne :

« Nous survolâmes La Rochelle et Rochefort. Dans les ports brĂ»laient des navires incendiĂ©s par les avions allemands. Nous passâmes au-dessus de Paimpont, oĂą se trouvait ma mère, très malade. La forĂŞt Ă©tait toute fumante des dĂ©pĂ´ts de munitions qui s’y consumaient. Après un arrĂŞt Ă  Jersey, nous arrivâmes Ă  Londres au dĂ©but de l’après-midi. Tandis que je prenais logis et que Courcel, tĂ©lĂ©phonant Ă  l’ambassade et aux missions, les trouvait dĂ©jĂ  rĂ©ticentes, je m’apparaissais Ă  moi-mĂŞme, seul et dĂ©muni de tout, comme un homme au bord de l’ocĂ©an qu’il prĂ©tendait franchir Ă  la nage. »

2) Bernard Dimey (Nogent 1931- Paris 1981)

Ce poète parolier a Ă©crit plus de mille textes dont quatre cents ont donnĂ© lieu Ă  des chansons, la plus connue d’entre elles Ă©tant Syracuse, sur une musique de Henri Salvador. Bien que connu comme personnage montmartrois, son Ĺ“uvre n’oublie pas la Haute-Marne et s’en inspire profondĂ©ment (comme je le montre dans l’essai paru en 2012 aux Ă©ditions du Bord du Lot : Bernard Dimey, Jeunesse champenoise, Succès montmartrois). Il lui est aussi arrivĂ© de parler des Anglo-saxons ou plutĂ´t de leur langue. En 1976 (il a alors seulement 45 ans mais est dĂ©jĂ  fort diminuĂ© par la maladie), il voyage au QuĂ©bec. Il y fait une chanson de circonstance que les QuĂ©bĂ©cois ont beaucoup apprĂ©ciĂ©e, sur l’envahissement de la langue française par l’anglaise : Le Français dont voici un extrait.

« Mes amis pour un rien se font faire des check-up,
Moi je me porte bien, j’en rigole de confiance,
J’Ă©coute des longs playings le soir sur mon pick-up ;
Des rockmens, des crooners, y en a pas mal en France.
Et j’bouffe des mixed-up grills, des pommes chips Ă  gogo,
Alors que j’aim’rais tant manger des pommes de terre
Avec des p’tits bouts d’foie et des p’tits bouts d’gigot,
Mais pour ça c’est fini, il faudra bien s’y faire.
On boit des lemon dry dans les snack-bars du coin,
En plein cœur de Paris ça me fait mal au ventre,
Et l’odeur des hot-dogs j’la sens v’nir de Si loin
Que mon cĹ“ur se soulève aussitĂ´t que j’y rentre.
Et l’on fait du footing, du shopping, des plannings,
De quoi dĂ©courager mĂŞm’ la reine d’Angleterre.
Ma femme la s’main’ dernière s’est fait faire un lifting,
J’ai fait du happening pour passer ma colère. »

IV. Le XXIe siècle

Les relations littéraires entre la Grande Bretagne et la Haute-Marne sont loin d’être taries comme le montrent les extraits suivants écrits par un romancier contemporain, membre de l’AHME (association haut-marnaise des écrivains) et anglophile, Paul Sath.
Sa trilogie sur LĂ©opold MacCarr, « l’homme-plume » dĂ©voile une Écosse de rĂŞve, source de sensations agrĂ©ables, celle d’un Français profondĂ©ment anglophile. (Les extraits suivants sont citĂ©s avec l’aimable et totale autorisation de leur auteur).

« Son dĂ®ner clos de bonne heure par un bon thĂ© Darjeeling, qui lui servit de dessert, il eut envie de presser de sa semelle le gazon aperçu d’en haut. Une surface parfaite, inentamĂ©e, dĂ©coupĂ©e verticalement comme un gros gâteau tout autour des bandes fleuries ou arborĂ©es, et qui Ă©tait si serrĂ©e qu’elle paraissait tressĂ©e comme la paille d’un chapeau de Panama. Il prit donc sans rĂ©flĂ©chir la direction du perron carrĂ© de l’hĂ´tel, dont le toit Ă©tait soutenu par deux colonnes blanches Ă  chapiteau, Ă  la mode victorienne, oĂą il ne trouva, Ă  sa droite et Ă  sa gauche, que les deux grands massifs foisonnants du front garden . Il sut alors que le vrai jardin ne se trouve pas ici, sur la rue, mais toujours cachĂ© Ă  l’arrière, multicolore, vallonnĂ©, irriguĂ© parfois d’une mare artificielle Ă  plantes flottantes, d’arbres entiers dĂ©bordant sur le voisinage sans que cela enfreigne la loi sur la propriĂ©tĂ©. Contrairement aux rigoristes verdures françaises restreintes Ă  la miniature et Ă  l’harmonie cubiste, sous la vigilance jalouse de voisins protectionnistes. Il retourna Ă  l’intĂ©rieur de l’hĂ´tel s’enquĂ©rir d’herbe oĂą marcher, et fut alors dirigĂ© vers le cĂ´tĂ© opposĂ©. L’étroite backdoor ouverte lui montra ce qu’il espĂ©rait : la dĂ©licatesse, l’art d’un endroit fait de nature peu rĂ©primĂ©e, aussi peu arrangĂ©e qu’une chevelure dans laquelle on passe la main nonchalamment pour lui donner un fil, un ensemble vague, sans la coiffer. Il s’y sentit encore une fois en un lieu de retour, dĂ©jĂ  vu, dĂ©jĂ  senti, en un bien-ĂŞtre qui l’aurait presque fait s’étendre lĂ , sur le dos, ainsi que cela se voit dans les vastes parcs des grandes villes, et se laisser devenir plante, pousser et se balancer sous la brise, protĂ©gĂ© et Ă©treint par cette terre. Il y remarqua une curiositĂ© qui ne pouvait se rencontrer que dans cette nation, qui aurait Ă©tĂ© inenvisageable sur l’autre cĂ´te de la Manche : un arbre très grand, au tronc d’un fort diamètre, insĂ©rĂ© dans l’un des murs entourant le jardin. Un frĂŞne, qui Ă©tait très certainement en place avant la construction de pierre, en limite de propriĂ©tĂ©. Et les maçons avaient naturellement arrĂŞtĂ© leur travail lorsqu’ils avaient rencontrĂ© le fĂ»t massif, et l’avaient repris juste après. Alors qu’en France bien Ă©videmment on aurait sacrifiĂ© l’impertinent centenaire. Il aima ce respect du bois vivant imposant sa grandeur seigneuriale aux bâtisseurs. Et LĂ©opold fut encore plus enclin Ă  se vouloir de l’île aux arbres vieux fendant les murs, commandant aux architectes. La lumière de l’air et les coloris vifs des parterres s’enfonçaient dans le sol, filtrĂ©s par le rĂ©seau dru du ray-grass, et il fut temps de passer Ă  nouveau la porte du salon de plein-ciel, puis de marcher sur les frisures tout aussi Ă©paisses et enchevĂŞtrĂ©es du tapis du corridor. (Extrait d’Une Ă®le en Écosse)

« Il fit alors marcher le moteur de son vieux cabriolet Triumph, de la marque anglaise du commencement des annĂ©es soixante, de la couleur de l’herbe de mĂŞme nationalitĂ©. C’était en mai, d’un qui gardait encore en rĂ©serve concentrĂ©e toute la tiĂ©deur Ă  donner un peu plus tard, celle qui fait aimer le printemps tardif encore plus que l’étĂ© clinquant. C’était son mois Ă  lui, celui du « fais ce qui te plaĂ®t » qui lui convenait si bien, lui dont la libertĂ© venait de sa connaissance intuitive de la vie comme assemblage de l’unique matĂ©riau atomique en plus ou moins grande densitĂ©. Le mois de MaĂŻa, – dĂ©esse de la fertilitĂ© et de la première saison – celui de la teinte verte faite de soleil jaune et d’eau bleue indistinctement entrediluĂ©s, qui moule les formes arrondies de cet altier et ancien relief, ce château-fort aux douves marines profondes et turbulentes. Il allait vers le haut de la carte d’Angleterre, jusqu’à toucher presque les confins du territoire de l’historique nation dominatrice. Auparavant, il avait Ă  contourner la galaxie gĂ©ante, la citĂ© de Londres ceinte de son anneau autoroutier nommĂ© avec aplomb « London Orbital », qu’il choisit d’attaquer par l’ouest parce qu’il le savait frĂ´ler le mythe universitaire, la clamante Oxford. Il n’avait apportĂ© avec lui aucune de ces lourdes prĂ©ventions françaises, qu’il jugeait imbĂ©ciles, contre l’art culinaire ou vestimentaire des raffinĂ©s Ă®liens qu’il frĂ©quentait verbalement depuis ses premières perceptions auditives. » (Extrait de Une Ă®le en Écosse)

« Il chercha seulement Ă  se mouvoir et se tenir comme tous, ne dĂ©sirant toujours pas ĂŞtre remarquĂ© autrement que par sa figure neuve. Il commanda donc au comptoir la mĂŞme bière en pinte – un peu plus d’un demi-litre – qu’il entendait presque chacun appeler avec une dĂ©cision un peu fragile. Il l’eut, attendit le rĂ©pit et l’aplatissement du trop de mousse pour ne pas en maquiller moustache et barbe et, la première fois de sa vie, massa ses joues intĂ©rieures, sa langue et son palais d’une goulĂ©e de Bitter aiguilleuse. Le nom l’avait averti de l’amertume qui alors lui sembla juste dĂ©saltĂ©rante et aromatique. Le faible pourcentage d’alcool que cela avait, suffit Ă  lui rappeler certains Ă©tats fĂ©briles très agrĂ©ables d’enfant grippĂ©, au tiers seulement de sa chope. Il se demanda lĂ  si les autres le voyaient comme lui regardait son père au dĂ©jeuner du dimanche, souriant bouche close. Il Ă©tait debout, dos contre le bar, le regard vers tout le monde, tous ces jeunes gens qui Ă©taient lui-mĂŞme, sa griserie de nĂ©ophyte le reliant Ă  eux et l’en sĂ©parant aussi. (Un chemin dans les Highlands, extrait)

Conclusion

Cet exposĂ© sans prĂ©tention a visĂ© Ă  montrer les Liens parfois bons parfois tendus mais toujours Ă©troits qui perdurent entre « notre » littĂ©rature (j’entends par ce mot tout autant la haut-marnaise que la française plus gĂ©nĂ©ralement car l’une n’est qu’un maillon de l’autre) et celle d’Outre-Manche. Bien entendu, cette prĂ©sentation non exhaustive garde sa part de subjectivitĂ©. (On aurait pu parler de Paul ValĂ©ry et de ses traductions de poètes anglais et surtout de Marie de France, comtesse de Champagne, fille d’AliĂ©nor d’Aquitaine reine d’Angleterre et protectrice de ChrĂ©tien de Troyes qui rĂ©pandit en France l’engouement pour le cycle arthurien et les lĂ©gendes celtiques) Mais le sujet est tellement vaste qu’il faut bien faire un choix. On peut y voir une invitation Ă  poursuivre cette promenade littĂ©raire, notamment sur le site de l’association des Ă©crivains de Haute-Marne et sur sa « Route des Écrivains »


- Dernières publications de Anny Massy :

Les Ă©crivains de Haute-Marne et la Grande Bretagne



- Les derniers articles dans la même rubrique :

Les Ă©crivains de Haute-Marne et la Grande Bretagne

Electre de Jean Giraudoux, une "tragédie bourgeoise"

Les sonnets d’amour de Jean de Sponde : l’altĂ©ritĂ© ou l’expĂ©rience de l’Ă©chec



Si vous souhaitez publier une synthèse,
merci de contacter directement Corinne Durand Degranges.
Si vous souhaitez proposer un article, utilisez cette page : https://www.weblettres.net/index3.php?page=contact.


Contact - Qui sommes-nous ? - Album de presse - Adhérer à l'association - S'abonner au bulletin - Politique de confidentialité

© WebLettres 2002-2024 
Positive SSL