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Article : [609] - Définir la nouvelle à chute


samedi 3 janvier 2009

Par Corinne Durand Degranges

Il s’agissait de réfléchir à une définition précise de la nouvelle à chute.

Message de départ :
Je m’interroge sur la frontière que l’on pourrait établir entre ce qui est nouvelle « Ã  chute » et celle qui ne le serait pas.
Une collègue a écrit récemment qu’à ses yeux toute nouvelle était « Ã  chute ». Dans ce cas, le terme « nouvelle à chute » ne serait-il qu’un pléonasme ?
Je me demande si l’on n’étend pas de façon excessive la notion de « nouvelle à chute ». Par exemple, il arrive de voir la nouvelle de Maupassant La Parure étudiée en nouvelle à chute : cela peut-il vraiment convenir ? Certes, la jeune femme tombe des nues en apprenant qu’elle a travaillé toute sa vie pour rembourser un collier de pacotille mais dans l’histoire ce n’est pas vraiment le lecteur qui est trompé, c’est plutôt le personnage qui se heurte à ce que l’on pourrait nommer « l’ironie du sort ».
Une nouvelle à chute ne conduirait-elle pas sciemment le lecteur sur une mauvaise piste en le contraignant à une relecture de l’ensemble, à la fin, par un bouleversement du sens du récit ?
Quels sont vos avis sur la question ?

Les réponses reçues :

Message 1 :
En effet, au fur et à mesure que je lisais tes remarques, je formulais moi-même la conclusion à laquelle tu sembles aboutir. Pour moi une nouvelle à chute est une nouvelle qui demande à ce que le lecteur entreprenne une deuxième lecture. Nous avons discuté cette semaine avec mes élèves sur la notion de plaisir que procurait cette deuxième lecture puisqu’en fait elle devenait une sorte d’hommage à la qualité d’écriture - de rédaction de l’auteur... Elle consistait aussi à mieux en savourer le déroulement. Et je suis d’accord avec toi sur l’idée que ce n’est pas le cas dans la nouvelle de Maupassant.
Je me souviens avoir étudié quand j’étais à l’Université un livre qui s’intitulait La nouvelle au tournant du siècle de Florence GOYET. Si je ne me trompe pas, le fil conducteur en était que depuis le début du XX° il n’y a plus de nouvelles à chute au sens où on l’entend de façon générale et qu’avec des auteurs comme Woolf ou Mansfield, tout s’arrête sans qu’aucun sens à ce que l’on a relaté ne soit décrypté pour le lecteur...
mais bon... ce n’est qu’un humble avis.
Nathalie

Message 2 :
Je suis moi aussi une amatrice de nouvelles en général et à chute en particulier.
Je suis assez d’accord sur l’idée que le lecteur est trompé sciemment dans la lecture de la nouvelle. Souvent, une nouvelle à chute nécessite une relecture du texte qui permet de relever les différents indices parsemés dans le texte. C’est un travail que je mène au collège avec Quand Angèle fut seule par exemple. J’explique aux élèves qu’ils doivent se comporter en lecteur-enquêteur.
La parure est-elle une nouvelle à chute ? Si on prend la définition du Petit Robert « fin inattendue », on peut penser que oui. En tout cas, elle n’est pas construite de la même manière que d’autres nouvelles.
Je ne sais pas trop...
Caroline

Message 3 :
Ma définition d’une « nouvelle à chute » serait la même que la vôtre : une nouvelle dont la fin est tellement inattendue, surprenante, qu’elle invite le lecteur à la relecture.
J’étudie par exemple celle d’Ana Gavalda avec mes 5e Happy Meal et telle est la définition que je leur donne.
Pour moi non plus, La parure n’est pas une nouvelle à chute.
Céline

Message 4 :
Si je vous suis bien toutes les deux, ne pourrait-on pas dire que c’est le lecteur qui, en fonction de sa lecture, détermine l’effet de la chute (véritable effet de surprise ou simple confirmation d’une hypothèse). Quand un lecteur pressent la culpabilité d’Angèle dès le premier ou le second paragraphe de la nouvelle de Mérigeau, parle-t-il encore de chute ?
Jacques

Message 5 :
C’est sûr que dans ce cas, la chute "tombe" à l’eau...
Peut-on alors évoquer l’intention d’auteur ? J’avoue que je ne sais plus trop.
Caroline

Message 6 :
Puisque nous pataugeons si bien (pour rester dans le réseau sémantique de l’eau), ne pourrait-on avancer que c’est autant (davantage) un effet de clôture qu’un effet de surprise (le premier étant plus de l’ordre du texte, le second étant plus lié à la réception) ? Qu’en pense Corinne, qui est aussi intéressée dans l’affaire ?
Jacques, qui (pour rester honnête reconnaît qu’il) parle de « chute » dès lors qu’un élément inattendu pour ses élèves (voire pas vu du tout par une majorité) apparaît à la fin d’un texte. (Comme dans la nouvelle de Mérigeau, par exemple.)
P.S. : Ne conviendrait-il pas dès lors de rapprocher la nouvelle du sonnet (où le jeu formel est plus aisé à cerner : de l’ordre de la rupture) ?

Message 7 :
Le terme de clôture me convient aussi mais je ne m’en servirais pas pour définir spécifiquement la nouvelle à chute (tout au moins de l’idée que je me fais de la nouvelle à chute). Je vais essayer de préciser ma pensée (qui n’est peut-être que vapeur... d’eau) aidée par les nombreux messages reçus en privé qui ont apporté de l’eau à mon moulin...
En fait, il faudrait pour rendre mon impression plus claire que je me fonde sur plusieurs exemples concrets. Il y aurait à mon sens des nouvelles produisant un effet de surprise (côté lecteur) ou de clôture (côté auteur) très nets mais qui fonctionnent de deux manières distinctes.
À mon sens, le prototype de la nouvelle à chute serait (comme on l’a souvent écrit) Quand Angèle fut seule de Mérigeau. Il faut attendre la toute dernière ligne du récit (et même les quelques secondes qui suivent sa lecture) pour comprendre qu’Angèle a assassiné son mari. Cette découverte finale conduit le lecteur à désirer effectuer une seconde lecture afin d’en apprécier le double sens. Une collègue a raconté qu’elle avait discuté avec ses élèves sur ce plaisir particulier de la seconde lecture que l’on effectue une fois l’astuce découverte.
D’autres nouvelles fonctionnent de cette même façon, je citerais Cycle de survie de Matheson, En Sentinelle de F. Brown, Lucien de Bourgeyx, Continuité des parcs de Cortazar, Iceberg de Kassak, Pauvre petit garçon ! de Buzzati etc.
En revanche, et bien que ces nouvelles soient souvent placées comme nouvelles à chute, je n’y placerais pas Coup de gigot de R. Dahl qui se fonde sur le cynisme de l’assassin mais ne crée pas d’effet de surprise, seulement un effet de clôture. Je n’y placerais pas davantage Fatale erreur de F. Brown (qui se contente de faire sourire à l’idée de la bêtise du personnage) ni Cauchemar en bleu qui fonctionne, comme je l’ai écrit pour La Parure, sur l’idée d’un coup du destin (de l’ironie du sort). Je n’y placerais pas davantage Lucy de Gougaud parce que la fin ne requiert pas une seconde lecture.
Mais voici qu’en écrivant, je poursuis ma réflexion et je me demande tout à coup si je n’ai pas pris le problème à l’envers. Les nouvelles à chute seraient peut-être celles qui possèdent un effet de clôture (Coup de gigot, Lucy etc.) et il faudrait trouver un terme pour désigner les nouvelles qui piègent le lecteur : « nouvelles gigognes » ? « nouvelles piégées » ? (suggéré par un colistier) « nouvelles à double coup » ?...
[...]
Puisque l’on en est aux confessions, je dirais que ma remise en question est très récente et que l’on trouve sur WebLettres des séquences de moi dans lesquelles je m’assois allègrement sur cette nuance (faute d’y avoir réfléchi par le passé). Confidence encore : tout ceci a été motivé par l’envie que j’avais d’affiner la synthèse 88 et dont les propositions de lectures me semblaient mêler des choses finalement assez disparates.
À la remarque de Jacques « Ne conviendrait-il pas dès lors de rapprocher la nouvelle du sonnet (où le jeu formel est plus aisé à cerner : de l’ordre de la rupture) ? », je répondrai
C’est aussi ce que m’a suggéré une autre collègue. Mais là encore, je dirais qu’il y a des sonnets à chute (tout sonnet serait même à chute ?) et des sonnets piégés ou à double détente (« Le dormeur du Val » produit très exactement le même effet que la nouvelle Quand Angèle...)
Corinne

Message 8 :
Suis pleinement de ton avis, chère Corinne. Il faut que le lecteur tombe des nues, et non le personnage.
Kira

Message 9 :
Je travaille justement sur la nouvelle avec plusieurs classes de différents niveaux. Il me semble que toute nouvelle est « Ã  chute » si l’on entend par là « fin brutale ». Dans La parure, l’héroïne voit toute son existence d’un autre Å“il suite à la révélation finale, mais il n’y a aucun enjeu pour le lecteur. C’est une nouvelle, donc...
Le terme de « chute » convient particulièrement dans certains cas comme Quand Angèle... où une relecture est indispensable, tellement la fin est inattendue.
Suis-je vraiment claire ??? J’en doute en me relisant...
Clotilde

Message 10 :
Il me semble également que c’est le principe même de la nouvelle littéraire que d’être un « récit tourné vers sa chute ».
Les nouvelles où les chutes sont organisées pour tromper le lecteur relèvent selon moi du procédé de la mystification narrative.
Béatrice

Message 11 :
Votre théorie me convient. L’idée de faire une analogie entre nouvelle et sonnet me paraît pertinente.
Donc j’adhère ! Qu’en pensent les autres ?

Message 12 :
Selon moi, et sans avoir jamais consolidé ma théorie à l’aide de lectures universitaires sur le sujet, on peut distinguer le récit à chute et le récit piégé.
Dans la nouvelle à chute, la fin surprend vivement le lecteur en partie grâce à des informations escamotées (La Parure de Mme Forestier était fausse) et le sens de la nouvelle est alors univoque.
Dans le récit piégé (comme Angèle, ou Cycle de survie), le narrateur sème des leurres ou des phrases à double entente. Deux interprétations peuvent se développer et, passé l’instant de la révélation (grâce au détail qui remet toute la compréhension en cause) le doute peut fort bien subsister dans l’esprit du lecteur. Suis-je claire ?
Agnès


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