Groupe de travail : CAPES

Dissertation de didactique session 2010


Par Anonyme | Mis en ligne le 11-08-2010

Note obtenue : 12/20

La plupart des films de Wenders dégage une mélancolie douce et rude à la fois : cette justesse vient probablement d'une technique et d'un savoir-faire (lenteur – plan long) qui telle une musique lancinante, marque les esprits. L'enseignement de la littérature en classe de première s'appuie sur un travail d'analyse technique des textes afin d'en dégager une atmosphère, une sensation.
Au premier trimestre, un travail sur le Nouveau_Roman (par exemple l'oeuvre de Duras, et plus précisément Moderato Cantabile et son adaptation cinématographique d'A.Resnais) aura permis de dégager le travail de narration si particulier dans le cadre du Nouveau-Roman. Afin de poursuivre dans cette voie, l'enseignant de Lettres pourra donc au second trimestre travailler sur un corpus assez court de textes poétiques afin d'accentuer son travail sur la forme. Le corpus proposé dans ce dossier est composé de quatre supports différents, sur une diachronie assez étendue ; ainsi, le poème en vers libre d'E.Verhaeren, « Vers le futur », extrait des Villes Tentaculaires (1904), s'inscrit tel Hugo dans une tradition lyrique : cette fièvre se retrouve, mais dans un style différent dit de prose poétique chez Senghor qui dans « A New-York » d'Ethiopiques (1956), fait vibrer tel Miles Davis le texte via une grammaire et une syntaxe précise ; enfin, Henri Michaux, dans un style plus proche de René Char (aphorisme et concision) permet dans « La grande ville, ensuite le temps », publié dans A distance (1997) de faire émerger un travail précis sur la forme. Enfin, l'analyse de la toile de Hopper, huile sur toile de 1946, A l'approche d'une ville permettra d'introduire cette séquence axée sur le travail narratif du poète : comment, en effet, les choix stylistiques permettent-ils de dégager le thème de l'homme dans la ville ? La dominante de cette séquence sera donc très nettement axée sur la grammaire et la syntaxe, pour aboutir en évaluation sommative à une lecture méthodique, lecture qui permet alors de maîtriser le commentaire composé.
Cette séquence reposera donc sur cinq séances : la première sera axée sur l'analyse de la toile de Hopper, la deuxième sur le texte de Michaux, qui accentue l'atmosphère de la toile de Hopper, à opposé à la fièvre de Senghor et au lyrisme du texte de Verahaeren (troisième et quatrième séance) ; enfin, la dernière séance sera consacrée à l'évaluation lors de laquelle tout le travail sur l'étude de la langue sera réinvesti.



Démarrer cette séquence sur l'analyse d'une toile prend tout sons sens si l'on conçoit, comme le présuppose le travail en Histoire des Arts , que toutes les formes de création ont leur place dans toutes les disciplines et qu'elles permettent à l'enseignant de dégager de « l'animus et de l'anima » à travers chaque objet d'étude. On pourra donc faire émerger à l'oral les impressions des élèves de cette classe pour en dégager l'atmosphère particulière, à savoir l'attente et la solitude de l'Homme face à la ville ; on pourra ensuite aider les élèves à s'intéresser aux aspects techniques : la couleur si particulière chez Hopper, entre « chien » et « loup », ocres... couleurs chaudes mais aussi comme tamisées. Les fenêtres, comme des trompe-l'œil, sont un outil récurrent chez Hopper, ces fenêtres contribuent à « théâtraliser » la scène. On pourra faire un lien avec certains romans de P. Auster, notamment Trilogie New-Yorkaise, où se dégage une recherche de l'altérité mais aussi une grande solitude. On pourra aussi conseiller en lecture cursive La fin d'un primitif de Chester Himes. L'absence d'individus dans la toile de Hopper accentue cette sorte de malaise, de temps suspendu : l'obscurité du tunnel et au premier plan, de la voie ferrée, contribuent également à amplifier cette léthargie. On fera remarquer aux élèves qu'il s'agit, comme pour une photo, d'un instant fugace du voyageur solitaire, et on n'hésitera pas à citer d'autres références dans le domaine artistique du visuel (peintures et BD) où l'on est susceptible de retrouver cette dualité individu / ville, je pense notamment à l'œuvre d'anticipation de Schuiten dans sa série Les cités Obscures.

Cette sensation se retrouve dans le court texte de Michaux via son travail grammatical sur l'aspect accompli des verbes et la scansion donnée aux phrases. On pourra leur faire relever les nombreux verbes au passé composé (« a apporté, ont exténué, a rogné, a corrigé ») qui traduisent la sensation de « fin de siècle » qui se dégage de cette prose poétique. En outre, la pratique de la lecture à voix haute de ce texte fera ressortir la froideur voulue de certaines phrases simples, où on se heurte à une combinaison stricte « sujet-verbe-complément » comme dans « la pluie a apporté la pâleur », « le froid , la neige ont exténué les couleurs » ou enfin « la rouille a rogné les inscriptions ». De manière subtile, le dernier aphorisme, sans objet direct cette fois-ci, suspend ce rythme qui s'installait en annihilant toute rêverie superflue. En filigrane, on fera remarquer la personnification de la ville qui s'opère (même si ce n'est pas ce qui contrairement à la syntaxe, donne du rythme au texte) en relevant les adjectifs du début du texte « broutée, vieillissante » et les noms « vanité, pâleur ». A l'interrogation de Hopper, répond donc ici une fin de règne sans roi ; on pourra conseiller en lecture cursive Fureur et Mystère de Char où ils retrouveront cette tension si particulière chez ces poètes qui travaillent patiemment leurs textes.

Le texte de Senghor semble vibrer au contraire au rythme de la ville, celle de New-York; plus long que celui de Michaux, cette prose poétique sera étudiée pendant deux heures consécutives car l'analyse du texte permet de voir des compétences grammaticales précises. On pourra travailler dans un premier temps sur les multiples anaphores qui s'apparentent à un thème en jazz (comme le suggère Senghor lui-même) : ces anaphores seront relevées en fonction de leur nature grammaticale (les noms, « N-Y » répété à de nombreuses reprises, les verbes « j'ai vu » au passé composé qui a une valeur itérative ici, « écoute » à l'impératif, et les nombreux présentatifs comme « voici » « c'est »). On pourra alors aborder la notion de modalisation du discours notion qui permet de faire émerger les traces de subjectivité de l'auteur. Cette façon de montrer du doigt l'énonciation du poète nous permet de dégager (à contrario du texte précédent) le lyrisme du poète face à la ville ; on fera un parallèle avec les textes de Nougaro sur N-Y. Au cours de la deuxième heure de cette séance, on montrera que non seulement Senghor fait entendre sa voix dans ce texte (en utilisant à plusieurs reprises le pronom personnel « je »), mais qu'il lui donne aussi une dimension allégorique par le biais de la personnification dès la première phrase du texte ; cette notion de personnification n'est pas nouvelle en classe de première et les élèves pourront donc relever les mots qui la suggèrent (les noms « filles », « jambes », les adjectifs tels que « timide » etc. En outre, cette vision allégorique de la ville de N-Y par Senghor s'enrichit d'une strophe à l'autre, puisqu'il évoque dans la deuxième le quartier de Harlem, puis dans la troisième celui du destin des Noirs . Il fait référence en outre à la Création, contribuant ainsi à idéaliser et rendre mythique cette ville. La profusion d'énumérations, dans la deuxième strophe notamment, avec les signes de ponctuation qui introduisent un étonnement inextinguible devant tant de richesses, confère donc une vision babylonienne à ce texte.

La quatrième séance sera consacrée à l'étude d'un texte plutôt classique dans la forme, celui de Verhaeren, composé de nombreux quatrains sauf la cinquième strophe. On pourra revoir des notions connues sur la versification mais cela ne sera pas l'objet de cette séance qui se fera essentiellement à l'oral, sur deux heures. Ce travail permettra, juste avant la séance d'évaluation, de parfaire ce travail d'analyse de la langue qui aboutira à la lecture méthodique appliquée à un autre texte. Ainsi, l'analyse des temps verbaux, des figures de style(personnification), de la syntaxe (gradation, hypotaxe) leur permettra de comprendre la dichotomie dans ce texte entre nature et culture ; on pourra, toujours sous la forme de relevés, montrer la pertinence entre le choix des verbes au passé simple et à l'imparfait (notamment dans les vers 28 à 31) qui s'opposent à ceux au futur des vers 40 à 47. Cette différence permet d'exprimer l'horizon d'attente du poète qui, en ce début de siècle, met son espoir dans dans l'émergence en marche des villes (il oppose ainsi le néant au futur rayonnant) Cette idée est renforcée par la personnification (des vers 17 à 27) où l'auteur associe les villes à la naissance d'une nouvelle « humanité ». Cette pensée en mouvement s'appuie sur un choix de gradation (au vers 13 par exemple) où sont sont convoqués tous les esprits pensants « héros, savant, artiste, apôtre, aventurier » qui prônent la mort du divin. Pour bien décrire le monde qui s'éveille enfin, Verahaeren, notamment dans les vers 17 à 27, use de phrases complexes où les subordonnées relatives permettent d'étayer sa thèse. Le choix du vocabulaire lyrique et des apostrophes rappellent les poèmes de Hugo. Il est intéressant de faire remarquer aux élèves que les attentes de Verhaeren (cf. vers 47 « un monde enfin sauvé de l'emprise des villes ? ») s'opposent, comme le décrit bien plus tard Henri Michaux, à cette sorte de sanction qu'inflige aux villes le temps. Ces deux auteurs opposent « la jeunesse du monde » (vers 55) à « la capitale vieillissante » et l'aphorisme sanction qui clôt le texte de Michaux tranche avec l'utopie du début du siècle.

La cinquième séance sera constituée par un travail personnel des élèves pour réinvestir les outils de langue étudiés dans cette séquence ; on pourra donc aborder lors d'un travail de lecture méthodique la prose poétique chez Aloysius Bertrand, notamment à travers l'incipit de Gaspard de la Nuit. Le choix d'un texte en prose poétique permet peut-être avec plus de facilités que pour un poème classique, de travailler sur la syntaxe des phrases. Le troisième trimestre nous permettra de travailler sur la méthode du commentaire composé puisque la lecture méthodique sera assimilée.



Pour conclure, cette séquence pourra anticiper un travail sur une œuvre intégrale en première mais dans le genre théâtral avec la pièce de Claudel, Le partage de midi : familiarisés avec le lyrisme notamment, ils pourront explorer ce thème par le biais du théâtre.


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