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Article : Enseignement du FLE et oeuvre intégrale romanesque


samedi 9 janvier 2010

Par Mina Sadiqui/ENS-Meknès-Maroc

Cas du français dans le cycle secondaire qualifiant au Maroc.

Synthèse mise en ligne par Corinne Durand Degranges

Suite à la réforme du système éducatif marocain, réforme recommandée par la charte nationale d’éducation et de formation, et engagée à partir de 1999, l’enseignement/ apprentissage du français dans le cycle secondaire qualifiant à l’instar des autres disciplines, repose désormais sur le concept de compétence. L’une de ses premières finalités est la formation d’un citoyen autonome qui peut s’approprier des valeurs civiques et humaines universelles et qui est doté de compétences de communication susceptibles de faciliter son intégration dans le monde du travail.
Penser une formation, un enseignement en termes de compétences constitue un choix pédagogique qui repose sur des présupposés concernant l’apprentissage. Ces présupposés posent comme principe qu’apprendre c’est maîtriser des situations de plus en plus complexes. Pour développer des compétences, il faudrait travailler par problèmes par projet, donc proposer des tâches qui inciteraient l’apprenant, à mobiliser des acquis et à chercher à les compléter.
Un tel choix, ne peut qu’induire un changement au niveau des programmes d’abord, ensuite et c’est d’ailleurs le plus important, au niveau du dispositif didactique et pédagogique de leur mise en Å“uvre. Ainsi, de nouveaux programmes de lycée ont été mis en place au début des années 2000, et ont à partir de 2004 et jusqu’à 2007, fait l’objet d’une rénovation. Mais dans tous les textes officiels, les orientations pédagogique générales pour l’enseignement du français dans le cycle secondaire qualifiant, en l’occurrence, l’Å“uvre intégrale apparaît comme étant le nouvel objet d’enseignement proposé, le support fondamental des diverses activités qui devraient caractériser cet enseignement.

I) L’exploitation pédagogique de l’Å“uvre intégrale, une entreprise difficile :

L’introduction de ce nouvel objet d’enseignement : l’Å“uvre intégrale, cause d’énormes problèmes au niveau de la gestion pédagogique de la classe de français.
Comment gérer les diverses situations d’apprentissage du français à partir de cet objet d’enseignement ?
Commet faire d’un seul objet d’enseignement le support fondamental de toutes les activités de classe sans tomber dans l’incohérence ?
Comment impliquer un élève souvent réticent car ne comprenant toujours pas pourquoi on lui demande de faire des recherches à un certain moment, et pourquoi on travaille sur tel extrait plutôt que sur tel autre. ? Les contenus de l’enseignement proposé lui apparaissent souvent disparates et donc forcement insignifiants.
Comment justifier le choix des activités qui relèvent de champs d’apprentissage diversifiés à savoir « la lecture, l’écrit, la langue, l’oral et les travaux encadrés »(1) ?
Comment expliquer l’intégration d’extraits autres que ceux de l’Å“uvre intégrale puisque l’une des finalités de la réforme est « l’acquisition d’un savoir littéraire culturel, l’ouverture à d’autres modes d’expression culturelle » (2) ?
L’exploitation pédagogique de l’Å“uvre intégrale en cours de français pose de sérieux problèmes. Intervenir sur plusieurs fronts pédagogiques à partir d’un seul et unique support perturbe le professeur dans l’accomplissement de son rôle traditionnel et dans ses pratiques « courantes ».

II) Exploitation pédagogique de l’Å“uvre intégrale et dispositif d’apprentissage

Pour faciliter l’exploitation pédagogique de l’Å“uvre intégrale romanesque dans le cycle secondaire qualifiant, il faudrait mettre en place un dispositif d’apprentissage qui allie démarche didactique et démarche herméneutique.
1) une démarche didactique
a- Pour définir une notion clé : la séquence didactique :
Dans les orientations pédagogiques générales la séquence est définie comme étant un ensemble d’activités « visant le développement de compétences. Celles-ci constituent une réponse aux besoins des élèves » (3).
Ce concept répond donc parfaitement aux finalités de la réforme de l’enseignement du français puisqu’il met l’apprenant au centre de l’action pédagogique. Ce sont les besoins de ce dernier qui déterminent les activités de la séquence.
Essayons de définir cette notion-clé .Elle nous offre les fondements de notre démarche didactique, premier déterminant dans l’élaboration de tout dispositif d’apprentissage à construire.
Le Petit Robert définit "la séquence" comme "suite ordonnée d’éléments, d’opérations", "une suite graduelle, progressive, dans une direction déterminée".
Ce qui est à souligner dans cette définition générale c’est l’omniprésence de la notion de "cohérence", de "progression", et de finalité ; notions qui se retrouvent dans la définition de séquence dans le champ de la didactique.
La séquence didactique organise « sur un ensemble de séances des activités de lecture et d’écriture visant à faire acquérir à des élèves clairement identifiés un certain nombre de savoir et de savoir faire préalablement définis" (4).
Une séquence didactique "s’inscrit dans un projet général et comporte une série articulée d’exercices collectifs et individuels d’observation, de manipulation et de production de textes. Elle suppose la délimitation d’objectifs d’apprentissage limités (...) est une articulation systématique des éléments enseignés" (5).
La séquence didactique est donc un dispositif permettant à des élèves précis de s’approprier des savoirs et des savoir-faire. "L’évaluation qui clôt la séquence didactique" (6) permettra en même temps "d’évaluer les nouveaux acquis et prévoir les actions de remédiations, de soutien ou de prolongement qui s’imposent" (7).
b- La séquence didactique : cadre général du dispositif didactique
Pour récapituler, une séquence est un dispositif qui met en place le cheminement d’un apprentissage cohérent et progressif aboutissant à une évaluation. Cette dernière permettra à l’enseignant soit de prévoir des actions de soutien, soit de programmer une nouvelle séquence didactique.
Le texte officiel précise que les activités d’enseignement du français à mettre en Å“uvre dans une séquence : la lecture, l’activité orale, les travaux encadrés et enfin la production écrite.
L’Å“uvre intégrale, comme nous l’avions déjà signalé, "apparaît comme le support principal des diverses activités qui caractérisent cet enseignement" (8).
Les séquences didactiques relatives à l’Å“uvre intégrale doivent être aussi variées que les supports eux même.
"Le niveau de la classe, la situation de la séquence dans le projet pédagogique annuel et les objectifs (....) constituent par ailleurs autant de facteurs de variété supplémentaires » (9).
La séquence didactique apparaît donc "à la fois comme l’espace privilégié du traitement didactique des savoirs et comme la base de tout projet annuel"(10). Elle nous offre un cadre général certes mais pas suffisant pour gérer l’enseignement / apprentissage du français dans le secondaire qualifiant à partir d’une Å“uvre intégrale.

2) Le dispositif d’apprentissage : une démarche herméneutique
Lire une Å“uvre intégrale dans le cycle secondaire qualifiant, c’est mettre en Å“uvre aussi une démarche herméneutique .Il s’agit de proposer des itinéraires possibles de construction des savoirs et des savoir-faire.
Les dispositifs d’apprentissage doivent être au niveau de cette démarche, l’illustration de certains choix qui ne peuvent être aléatoires.
a) Impliquer l’élève
Comme le préconise la réforme de l’enseignement / apprentissage du français, l’élève doit être le centre et l’acteur de l’apprentissage. Il est question ici d’une une mise en valeur de la vision constructiviste de l’enseignement. Ce qui nous invite à repenser le rôle de l’enseignant, la relation élève / enseignant et aussi le statut des supports de l’enseignement. L’Å“uvre intégrale, qui est le nouvel objet de cet enseignement, n’est plus à considérer comme une fin en soi. Elle doit être conçue comme un moyen qui permet de construire une démarche d’apprentissage. L’élève ne doit plus subir le savoir du professeur sur telle ou telle Å“uvre .Il doit être actif, s’impliquer dans le cours et participer à la construction de son savoir.
Pour atteindre cet objectif, il faudrait l’intéresser et susciter son intérêt. Comment ?
b) Pour lancer la séquence didactique :
Pourquoi commencer par "donner" un cadre explicatif préétabli qui expose « tout » le savoir présumé sur l’Å“uvre à étudier, à découvrir ? (on commence souvent la séquence par ce qu’on appelle la contextualisation de l’Å“uvre : biographie de l’auteur, contexte historique et culturel, personnages ...)
Une des finalités de la réforme de l’enseignement / apprentissage du français, et d’ailleurs de tout système éducatif, est de créer un lecteur autonome. Or, pour cultiver cet autonomie chez l’apprenant, il ne faudrait pas lui "donner" mais l’inviter à chercher, lui permettre de "construire".L’élève doit réfléchir afin de pouvoir construire. Si on lui impose, dès le départ un sens donné, les finalités de l’enseignement-apprentissage risquent de se réduire à la reconnaissance, à la restitution et à la mémorisation.
Il faudrait impliquer l’apprenant en l’invitant à effectuer des tâches précises. Face à un obstacle de lecture, il doit apprendre à chercher des outils pour entrer dans le texte. On développe ainsi une démarche qui lui permettrait de trouver une éventuelle signification. Il faudrait entrer dans l’Å“uvre à partir de ses propres composantes textuelles.
Toute introduction d’un "savoir" pour lire une Å“uvre intégrale nécessite une véritable réflexion didactique sur son statut et sa finalité par rapport au dispositif d’apprentissage conçu.
Comment donc introduire tout savoir qu’il soit culturel ou méthodologique ?
c) Pour construire le savoir méthodologique et culturel
Le texte officiel relatif à l’enseignement du français dans le cycle qualifiant souligne constamment le fait que le travail sur l’Å“uvre intégrale s’inscrit dans une double perspective : d’abord méthodologique, culturelle ensuite.
A travers ce support il faudrait développer chez l’apprenant des méthodes lui permettant de résoudre des problèmes de lecture face aux textes littéraires et non littéraires.
"Tout l’enjeu de la pratique pédagogique est de faire en sorte qu’un objectif devienne un obstacle pour que, quand la personne travaille à une tâche, elle découvre l’obstacle, et à partir de là, puisse accéder au savoir qui lui permette de franchir cet obstacle (...) c’est dans la mesure où les savoirs apparaissent à nos élèves comme des moyens de franchir des obstacles qu’ils ont découverts dans l’effectuation des tâches qui leur sont proposés, que le savoir peut avoir un sens pour eux" (11).
Tout savoir doit être inscrit dans un processus de construction de sens. En finalisant tout apport qu’il soit instrumental, méthodologique ou culturel, on donne du sens à ce que nous enseignons. L’élève doit toujours comprendre la fonction de ce qu’on est entrain de faire à tel ou tel instant de notre cours.
Dans un contexte où la simple information n’est plus utile car facilement accessible grâce aux technologies de la communication, il est urgent ; à l’école ; de construire le sens des savoirs.
Mais comment savoir le moment opportun pour construire tel ou tel type de savoir ?
d) Le projet de lecture
Un projet de lecture est une perspective de lecture dans une œuvre intégrale. Il propose un parcours (il devrait y en avoir plusieurs). Toutefois, tout parcours de lecture doit être justifié par des indices paratextuels et textuels.
C’est ce parcours qui spécifie la lecture, motive le choix des extraits qui vont lui servir de point d’ancrage et alimente les synthèses à construire. Il permet donc d’articuler les divers modes de lecture : lecture d’extraits, lecture transversale et groupements de textes. Il donne aussi du sens à toutes les autres activités de classe à proposer (langue, oral, travaux encadrés et production écrite).
Le projet de lecture permet notamment de justifier le choix du support de l’évaluation et les critères de cette dernière.
C’est le projet de lecture qui donne sens et cohérence à la séquence. Il donne le sens à tous les savoirs à construire, et par conséquent à notre pratique enseignante.
En s’interrogeant sur le statut, la finalité et les modalités de mise en Å“uvre de chaque activité ou support d’activité de classe on donne du sens à notre pratique enseignante.
Ceci dit, proposer une perspective de lecture, un parcours ne risque t-il pas d’enfermer l’Å“uvre dans le sens d’une problématique thématique ou technique donnée ?
Tout d’abord, il n’y a pas d’itinéraire- type.
Tout parcours de lecture doit être souple .Il doit s’inscrire dans la double perspective de l’enseignement/ apprentissage du français, à savoir la perspective méthodologique et la perspective culturelle. En plus, l’étude de l’Å“uvre devrait faire appel à d’autres textes littéraires mais aussi non littéraires. Encore une fois, tout dépend du projet de lecture. De la même manière que ce projet nous permet d’entrer dans l’Å“uvre, il devrait nous faciliter l’ouverture vers d’autres modes d’expression culturelle.
e) Sortir de l’Å“uvre : construire la culture
L’Å“uvre intégrale doit être un instrument de travail intellectuel qui invite l’apprenant à construire son propre point de vue.
En appréhendant l’Å“uvre à travers des regards croisés, l’élève apprend à résoudre quelques problèmes de lecture liés aux différents genres littéraires. Il apprend aussi à comprendre les motivations possibles de certains modes d’expression culturelle et à s’ouvrir sur certains codes spécifiques, et sur d’autres cultures .L’enseignement /apprentissage du français permet ainsi à l’apprenant de construire son propre capital culturel .Il lui permet d’apprendre à devenir citoyen du monde.

CONCLUSION

Pour enseigner le français dans le cycle secondaire qualifiant à partir d’une Å“uvre intégrale romanesque c’est une pédagogie active et coopérative qu’il faudrait mettre en Å“uvre. La démarche du projet est à cet égard fondatrice. Tout savoir construit devient alors outil pour comprendre le sens et les finalités des différents apprentissages .Pour réussir dans cette tache, les praticiens doivent acquérir la formation didactique et pédagogique appropriée. C’est pour cela que la formation initiale et continue est aujourd’hui plus que jamais une priorité majeure pour le devenir de notre système éducatif et pour l’avenir de notre société.
L’expérimentation de nouveaux dispositifs et méthodes d’’apprentissage est une autre voie pour améliorer notre école.

(1) O.G, p.7
(2) Idem, p.7
(3) Orientations Pédagogiques Générales, MEN, 2007 p.7
(4) Collectif, La séquence didactique en français, Ed. Bertrand Lacoste, 1992, p.17
(5) Dauz, le français aujourd’hui, n°93.
(6) O.G, 2007, p.7
(7) Idem, p.7
(8) Ibidem, p.3
(9) G. Langlade, la didactique au CAPES des lettres, Bertrand Lacoste, 1995, p.229
(10) Collectif, séquence didactique en français, Bertrand Lacoste.1992 p.17
(11) Anne Armand, Histoire littéraire, théorie et pratique, B. Lacoste, 1993, p.108.

Références bibliographiques
1) Armand, A .Histoire littéraire, théories et pratiques, Bertrand Lacoste, 1993.
2) Collectif, Lire méthodiquement des textes, Bertrand Lacoste, 1995.
3) Collectif, La séquence didactique en français, Bertrand Lacoste, 1995.
4)Harouchi, la pédagogie des compétences, éd. Le Fennec, 2003.
5) Langlade, la didactique au capes des lettres, Bertrand Lacoste, 1995.
6) M.E.N, Les orientations pédagogiques générales pour l’enseignement du français dans le cycle secondaire qualifiant, Novembre, 2007.


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