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Article : [443] - La servante, de Ronsard


lundi 19 décembre 2005

Par Jean-Roger Merle

Il s’agissait de vérifier l’interprétation d’un vers.
« Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle. »

Synthèse mise en ligne par Catherine Briat.

Question

Faut-il dans le deuxième quatrain entendre :
1) A ce moment-là, il n’y aura pas - au monde - la moindre domestique qui ne réagisse... ??? (il ne s’agit donc plus de votre servante.... mais d’une servante) (« vous » est l’équivalent d’une tournure impersonnelle)

2) (domestique) Qui en entendant dire que Ronsard bénissait votre nom de louange immortelle - ne réagisse ??? (« vous » = Hélène) (donc de servante, chez vous)
( Anglais : a, one, some, any...maid)

Réponses

  Il faut entendre que vous n’aurez personne chez vous, pas même une servante (supposée inculte) qui ne se réveille en entendant le nom de Ronsard et en apprenant qu’il a béni votre nom de louage immortelle (cf. les idées de la Pléiade sur la fonction du poète).

  Il me semble que le 1) n’est jamais qu’une interprétation généralisante du 2). Certes, a priori et en toute rigueur syntaxique et typologique, seule cette deuxième lecture serait recevable ; mais le glissement est tellement facile, tellement suggéré d’ailleurs par le contexte même de l’autolouange, que l’on a tendance à passer de l’un à l’autre sans vraiment s’en rendre compte. C’est dans le même sens qu’agit aussi l’intervention du personnage de servante dans ce contexte (je comprends : « même » une servante....)

  Je comprends pour ma part : chacune des servantes qui vous entoureront à ce moment-là autour du feu, ensommeillées par leur journée de travail, se réveilleront tout excitées au nom de Ronsard. Quelle chance vous avez d’être aimée de cette star.

  La moindre domestique, usée, la pauvrette, par les travaux et légèrement roupilleuse, elle se réveille et écoute le Ronsard qui couvre Ginette d’éloges.

  1. Première étape (première lecture, approche superficielle). Il me semble que la langue du XVIe n’admet pas d’utilisation du "nous" telle que celle que l’on trouve aujourd’hui couramment dans les copies d’élèves, c’est-à-dire une sorte de substitut de "on". Du reste, la force du "vous" dès le v.1 conduit le lecteur à entendre ce pronom, au v.5, comme lieu-tenant du destinataire apparent, Hélène. Il me semble donc que cette première approche conduit à une lecture que j’appellerais "réaliste" par défaut : vous, Hélène, vous n’aurez chez vous pas même une servante qui, entendant une telle nouvelle, ...
2. Deuxième étape. Cela étant, la proximité des structures latines (au XVIe en général et chez Ronsard en particulier) autorise, je crois, une interprétation du futur avec une valeur de conditionnel, c’est-à-dire d’irréel : vous, Hélène, vous n’auriez chez vous pas même une servante qui, entendant une telle nouvelle,... Cela dit, le champ sémantique du verbe « avoir » contient à la fois l’idée d’« avoir en sa possession dans la réalité » (avoir un livre, avoir une servante) que celle d’« avoir en la possession de sa pensée » (« j’ai dans l’idée que... », « j’ai dans la tête, dans l’esprit »...) ; de sorte que le passage de « votre servante » à « une servante » peut se faire, me semble-t-il, quasiment à l’insu du lecteur / auditeur : vous, Hélène,
vous ne pourriez pas imaginer même votre/une servante qui, entendant une telle nouvelle, ...
3. Troisième étape. On peut en effet aller plus loin : ce n’est pas la langue qui l’autorise mais le contexte. La relative indétermination du personnage d’Hélène fait de lui une sorte de symbole de l’essence de la beauté : dans cette perspective, « vous » ne désigne plus une quelconque Hélène (pas plus troyenne qu’une quelconque contemporaine de Ronsard) mais toute femme, dans la mesure où toute femme peut être considérée comme l’incarnation imparfaite de cet idéal de beauté. Dans cette perspective : aucune femme ne pourrait imaginer même sa/une servante qui, entendant une telle nouvelle,...
Il est possible d’explorer cette piste beaucoup plus loin. D’un côté, on aboutit aux idées platoniciennes, et la poésie de Ronsard est, de fait, on ne peut plus savante ; de l’autre, on aboutit au christianisme, tel du moins que le comprend le Renaissance ; et, quelque part au milieu, se trouve le coeur de la démarche ronsardienne, l’idée d’entéléchie, selon laquelle c’est le regard fascinant de la beauté (féminine) qui fait le poète être ce qu’il prétend être.
Le seul problème que je vois en réalité ici est qu’il faille expliquer tout cela à des élèves [ ;-)], qui s’intéressent généralement beaucoup plus au résultat obtenu qu’à la démarche par laquelle on y arrive...

  « Toutes les servantes, même celles qui sont à moitié endormies à cause de leur travail, sursauteront au nom de Ronsard et feront vos louanges etc... »


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