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Article : [17] - A cause que...


mardi 5 mars 2002

Par Jean-Eudes Gadenne

La question portait sur la correction de l’expression « Ã  cause que » dans la langue du XVIIIe siècle.

Problème initial

  Dans la scène 5 de L’ÃŽle des Esclaves de MARIVAUX, on trouve l’échange suivant, quand, à la demande de Trivelin, Arlequin doit faire la critique d’Iphicrate :
ARLEQUIN - Peut-être que je serai un petit brin insolent à cause que je suis le maître : voilà tout.
TRIVELIN - À cause que je suis le maître : vous avez raison.

  La tournure « Ã  cause que » est-elle déjà populaire ou incorrecte dans cet exemple et à cette époque, ce qui pourrait révéler le vrai niveau social d’Arlequin ? (On a d’ailleurs l’impression que Trivelin reprend sur un ton ironique ou amusé les propos d’Arlequin.) Ou cette interprétation est-elle fausse, si la tournure est correcte et acceptable au XVIIIe siècle ?

Au XVIIe siècle

  L’expression « Ã  cause que » est parfaitement neutre (voir Nathalie FOURNIER, Grammaire du français classique, ed. Armand Colin, § 520). Elle est employée par PASCAL, MOLIERE, BOSSUET, LA BRUYERE, FENELON...

L’évolution au XVIIIe et au XIXe siècle

  L’expression commence à être perçue comme familière dès le début du siècle. Voir le Traité de la grammaire françoise, du pourtant très conservateur secrétaire de l’Académie Française REGNIER-DESMARAIS (1706) : « A cause que est encore fort en usage ; mais c’est presque uniquement dans le discours familier, ou dans ce qu’on escrit dans cette sorte de style ».
  Selon cette analyse, la tournure était déjà incorrecte au XVIIIe et la reprise amusée de Trivelin en souligne la maladresse et révèle, en effet, la différence sociale entre Iphicrate et son valet, ce qui est pour Marivaux une astuce pour préparer le spectateur au revirement de la fin où tout rentre dans l’ordre.
  Toutefois le dictionnaire LITTRE, après avoir cité plusieurs auteurs du XVIIe siècle, mais aussi BALZAC, affirme : « Des grammairiens ont voulu bannir la locution conjonctive "à cause que" ; elle doit être conservée, étant appuyée par de bons auteurs, et dans certains cas d’un emploi préférable à "parce que". »
  Dans ce cas, on peut considérer que le bannissement de « Ã  cause que » date de l’époque de LITTRE et n’était pas archaïque à l’époque de MARIVAUX... Voir le dictionnaire Robert qui signale cet emploi comme « vieux » et cite MARIVAUX.

Réflexion complémentaire

  Sur ce sujet, voir Le Langage dramatique de P. LARTHOMAS, ed. P.U.F., et éventuellement Marivaux et le marivaudage de F. DELOFFRE, ed. Slatkine. Cette expression est probablement considérée comme populaire, ce qui ne veut pas dire qu’elle l’était car, comme le montrent les deux ouvrages (même s’ils n’évoquent pas l’expression elle-même), le langage populaire des valets était très codé ; nous n’avons que très peu de témoignages, disent-ils, et il existe une forte présomption que ces déformations soient en partie fausses ou exagérées du fait que ce sont toujours les mêmes schémas qui se répètent depuis Molière ou le même type de caricature. En gros, il semblerait que l’on imite le peuple dans un langage « petit nègre » assez conventionnel. Arlequin est le maître mais il ne l’est pas car il ne saurait s’exprimer comme un maître. Pourra-t-il le devenir un jour ? là est la question. Immédiatement vient à l’esprit Le Jeu de l’Amour et du Hasard qui semble signifier que non. C’est pourquoi L’ÃŽle des Esclaves est une pièce très intéressante car elle contient en puissance toutes les ambiguïtés de Marivaux.


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