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Article : [58] - L’autofiction


mercredi 30 octobre 2002

Par La rédaction de WebLettres

Il s’agissait de définir, dans la mesure du possible, les contours de l’autofiction et ce que l’on peut en dire aux élèves.
Synthèse mise en ligne par Corinne Durand Degranges

Réponses de colistiers
  « Notion hybride », en effet... Très succinctement : cette expression a été inventée par Serge Doubrovsky, écrivain (et universitaire, connu pour sa thèse sur Corneille). Mais depuis... N’étant pas vraiment un genre constitué, elle rend problématique le « pacte autobiographique » en combinant, ou en semblant « combiner » (le mot ne me convient pas...) « roman » et autobiographie (classique), mais en refusant toute forme d’allégeance à l’un ou à l’autre. Un « entre-deux » donc, ou l’autobiographie à l’ère du soupçon... (Mais Genette parle d’autofiction à propos de Proust !). L’autofiction est bien une « fiction » du moi, qui échappe au mensonge toutefois, car la vérité recherchée est une « vérité de parole ».
Les théories sur la question la font tantôt pencher du côté du « roman », tantôt du côté de l’autobiographie (je schématise pour aller vite). Le débat n’est pas clos entre universitaires. A manier avec précaution en classe.
Quelques titres possibles :
DOUBROVSKY S., Fils, (1977) et d’autres titres comme Le Livre brisé.
ROBBE-GRILLET A., Le Miroir qui revient
ROBBE-GRILLET A., Angélique ou l’enchantement
BARTHES R., Roland Barthes par Roland Barthes
ERNAUX A.
BOREL J. Voir les belles études sur son Å“uvre, sous le titre Jacques Borel, L’imagination autobiographique, in Écritures contemporaines 3, Minard)
BERGOUNIOUX P., La Mue par exemple etc.
Textes critiques (choix) :
GENETTE G., Palimpsestes, (1982), Paris, Seuil, collection Points, 1992, p. 358 (sur Proust).
GENETTE G., Fiction et diction, Paris, Seuil, coll. Poétique, 1991, p. 85 et suivantes.
LECARME J., L’autofiction : un mauvais genre ?, in Autofictions & Cie (Colloque de Nanterre, 1992, dir. Serge Doubrovsky, Jacques Lecarme et Philippe Lejeune), RITM, n°6.
Henri Godard, La Crise de la fiction. Chroniques, roman-autobiographie, autofiction, in L’Éclatement des genres au XXe siècle, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001, p. 81 et suivantes. ( ?)
  La notion d’ « auto-fiction » est elle-même source de confusion car elle tend à englober tout ce qui est écrit dès que l’auteur semble dévoiler sa vie dans son Å“uvre, y compris en s’aidant du péritexte... Pour certains chercheurs, cette catégorie textuelle ne constitue pas un genre ; plusieurs définitions contradictoires en sont par ailleurs données qui touchent parfois plus à la psychologie qu’aux recherches en matière littéraire... Sur la quatrième de couverture de Fils, Serge Doubrovsky définit ainsi l’autofiction :
« Ã€ peine sorti de chez lui, voici S. D. déversé en plein grand Central Parkway, l’autoroute qui mène à New York : au fil des souvenirs qui assaillent son réveil, des routes qui sillonnent sa vie, se dit un exil américain, douloureux et énigmatique. Ces fils, où tenter de les dénouer, sinon chez son analyste, au cours d’une longue séance, où ils s’obstinent à s’enrouler autour du personnage du fils. Particulièrement, dans le rêve du monstre marin, surgi du texte de Racine dans l’esprit du critique endormi. L’interprétation du rêve se reversera dans l’explication du texte racinien, dont la nouvelle lecture permettra de relire en retour la vie du narrateur, qu’on aura suivi entre-temps, après la visite au « psy », à travers le tintamarre solitaire de New York, les silences calfeutrés de l’université, jusqu’à la salle de classe où s’accomplit sa jouissance : le dénouement.
Autobiographie ? Non. Fiction d’événements et de faits strictement réels. Si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure d’un langage en liberté. »
En tant que personne intéressée par les recherches en matière littéraire, je reste dubitatif... En tant que professeur, je me permets de poser une question : en quoi est-il fondamental d’introduire cette notion auprès de nos élèves ? Pour avoir la joie de mettre une magnifique étiquette sur certains textes avec eux ? Pour créer un peu plus de confusion et continuer de développer un jargon à couleur scientifique ? Provocation : autrement dit, après la dictature de la « lecture méthodique » et de ses « champs lexicaux » déclinés en d’interminables litanies les jours de bac, voit-on naître un nouveau pouvoir, celui des « genres et des registres » ? Pouvons-nous réellement introduire cette notion sans la maîtriser ? Enfin, nos élèves auront-ils les moyens de contester la pertinence de cette nouvelle « catégorie » ? Face à un terme qui sonne si bien et qui fait si sérieux, il faudrait un nouveau Rabelais pour en rire ou en pleurer. (Gilles)
  On fait un essai, parce que pour moi aussi ce n’est pas toujours très clair :
1. autobiographie : récit rétrospectif d’une vie (identité auteur-personnage-narrateur par le biais du nom, de préférence complet. Ppour éviter le problème des deux occurrences de « Marcel » apparaissant dans La Recherche du temps perdu. Modèle : Les Confessions (les personnages sont les personnes ayant eu un rôle dans la vie de Jean-Jacques)
2. roman autobiographique : récit empruntant au vécu de son auteur (auteur du narrateur-personnage, ils n’ont pas le même nom et les autres personnages non plus). Modèle : Le Petit chose, à partir de sa propre enfance, Daudet retrace celle d’une enfance difficile.
3. autofiction : récit romancé d’une « aventure » vécue par l’auteur (identité auteur-narrateur-personnage) dont le but serait l’équivalent d’une « analyse », la part d’imaginaire pourrait peut-être y correspondre au travail du rêve dans une analyse : tenter d’explorer, de comprendre quelque chose de soi qui « Ã©chappe », « fuit » par le biais d’une « histoire ». Du moins pour ceux qui me semblent avoir quelque intérêt littéraire comme W ou le souvenir d’enfance de Perec. Il me semble que c’était le projet de l’inventeur du genre. Au fond, je mettrai volontiers La Recherche... dans ce cadre.
Pour le reste, il me semble qu’on nomme « autofiction », l’ensemble des étalages personnels qui encombrent les librairies ces derniers temps... (Anne)
  On pourra voir sur le sujet l’article du Monde du 4 avril 2003, « L’autofiction, genre litigieux », de Michel Contat. Sans doute le terme d’autofiction convient-il lorsque l’écrivain ne sait plus s’il raconte seulement sa vie ou s’il la détermine dans l’écriture ; cela relève d’une expérience limite, que les lecteurs du Livre brisé de Doubrovsky (Livre de Poche n° 6936) comprendront. (JFP)
  Je voulais vous faire part de la sortie d’un essai qui pourrait intéresser tous ceux que l’autofiction torture... Il s’agit de Autofiction et autres mythologies littéraires de Vincent COLONNA (Ed. Tristram). Dans une interview qu’il accorde à Télérama, il établit la distinction entre trois formes d’autofiction :
l’autofiction fantastique : « l’auteur se met lui-même en scène, mais dans un contexte invraisemblable, une histoire irréelle. »
l’autofiction spéculaire : « l’auteur ne se trouve plus forcément au centre du livre, il n’occupe qu’un petit rôle, une silhouette à la Hitchcock traversant ses films. »
l’autofiction biographique : « L’auteur est le pivot de son livre, il raconte sa vie mais il la fictionnalise en la simplifiant, en la magnifiant ou, s’il est maso, en en rajoutant dans le sordide et l’autoflagellation. »
Dans le cas de Montaigne, Colonna parle d’ « autoportrait, hors de toute fiction. »
Autre analyse intéressante : « L’autofiction est un jeu équivoque : j’écris une fiction, dit l’auteur, mais j’y mets beaucoup de moi-même. » Pas mal cette définition, non ?
Je vous signale également cet ouvrage : Roman autobiographique et autofiction de Philippe Gasparini (Ed. du Seuil).
  C’est Serge Doubrovski qui a inventé le terme (voir l’article Universalis). C’est-à-dire qui mêle des épisodes de la vie personnelle à une narration d’anecdotes fictives. Il y a le livre de Patric Modiano, Livret de famille, qui fait cela et de manière assez lumineuse pour nous qui nous penchons sur la notion. On est entre le vrai et le faux et une certaine « transfiguration » du réel. Voilà tout pour ma part. Bien-sûr, j’y vais à la machette, il faudrait peaufiner, affiner, arrondir et nuancer.
  Dernièrement, j’ai eu le privilège de rencontrer Doubrovsky, de lui parler de notre programme de Première et de le questionner sur l’autofiction. Il m’a annoncé que l’heure de la retraite allait sonner pour lui cette année, qu’il allait cesser ses cours aux États-Unis, rentrer en France, et prendre le temps de faire le point sur le sujet dans un prochain ouvrage car la notion a été galvaudée par rapport à son idée de départ (cf. Fils, où il définit le terme).
Selon lui, dans ses ouvrages tout a été vécu, la matière est le réel, seulement le réel (rien n’est inventé) ; c’est l’écriture qui transforme cette matière brute ; l’autofiction est donc d’abord un exercice de style, une mise en forme expérimentale du réel par le langage (voir certaines dispositions typographiques originales dans ses ouvrages, etc.) Du coup, il ne me semble pas que Modiano soit à mettre dans la même catégorie. Je parlerais plutôt de roman autobiographique dans son cas, puisque lui introduit la fiction délibérément dans sa narration.(malgré ce que j’ai pu lire sur internet à ce sujet). Même peut-être ai-je mal compris...En tout cas, c’est un homme charmant, humble et attentif que j’ai rencontré : rien à voir avec l’être odieux et sadique dépeint dans Le Livre brisé ! (Liliane)

Synthèses WebLettres à consulter
  Récits autobiographiques à la 3e personne (360)


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