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Article : [326] - La question de l’âme des femmes


mardi 12 juillet 2005

Par Christophe

Il s’agissait de s’interroger sur la date de la reconnaissance d’une âme aux femmes par l’église catholique. Toutes les réponses vont dans le sens d’une fausse rumeur : l’église reconnaîtrait une âme aux femmes depuis la plus haute antiquité... mais le débat a « rebondi » sur l’éventuelle misogynie de Voltaire...
Synthèse mise en ligne par Valentine Dussert.

Réponses des colistiers à propos de l’âme des femmes

  J’avais toujours cru comprendre que la chose s’était réglée au Concile de Trente, et à une voix de majorité mais je viens de trouver ceci sur le site le Port St Nicolas et son église, selon le principe question-réponse. A la question « L’Église est vraiment misogyne : je me suis laissé dire qu’au concile de Trente il s’en est fallu d’une voix pour que les femmes n’aient pas d’âme. Est-ce vrai ? Si c’est le cas, on a eu chaud, nous, les femmes ! », la réponse suivante est proposée : « On a le droit de porter un regard critique sur l’histoire de l’Église et, avec plusieurs siècles de recul, de sourire de telle ou telle formulation théologique aujourd’hui dépassée. Cela n’autorise pas pour autant à mettre sans examen n’importe quelle affirmation ridicule sur le compte de l’Église. Sans vouloir vous offenser, voici l’exemple typique d’un ragot malveillant... que les chrétiens ne sont pas obligés de colporter ! A l’origine de ce malentendu, il y a, non pas le Concile de Trente, mais un concile régional bien plus ancien, le deuxième concile de Mâcon pour être précis, en octobre 585. La question fortuite d’un évêque sur l’emploi du mot homo dans l’Écriture pour la femme donne injustement naissance à la légende sur « la femme sans âme » dans l’Église. » Il faut donc faire amende honorable et récuser cette vieille rumeur (?), jusqu’à preuve du contraire. Autrement dit, l’église reconnaîtrait une âme aux femmes depuis beaucoup plus longtemps, voire finalement depuis toujours...
  Cette page du site Parvis 21, confirme : à une question qui demande quand et comment l’église catholique de Rome a reconnu le fait que les femmes ont une âme, est proposée la réponse suivante : « Un collaborateur m’envoie cette information : selon une légende, un concile aurait débattu de cette question : « Les femmes ont-elles une âme ? » En fait, lors d’un synode provincial (Mâcon 585), un assistant protesta qu’une femme ne pouvait être appelée homme. Les évêques répondirent, en citant la Genèse : « Au commencement Dieu créa l’homme, il les créa mâle et femelle et leur donna le nom d’Adam ou homo terrenus, homme de la terre. L’épouse fut donc désignée comme le mari et tous deux furent appelés homme. » De même, le Christ est dit Fils de l’homme bien qu’il soit né d’une femme, car le mot femme est entendu ici au sens génétique, mais la protestation mal traduite donna « une femme ne peut être appelée créature humaine ». »
  Voici hélas l’un des nombreux poncifs concernant l’Église catholique que nous, enseignants, continuons trop souvent, malgré notre devoir de vérité, à diffuser. La réponse est : depuis toujours ! Sinon comment aurait-on pu vénérer la vierge Marie dès les premiers siècles du christianisme et baptisé des femmes qui n’auraient pas d’âme ? Cette rumeur fait partie de celles qui ont été véhiculées à partir du siècle des Lumières, où la bonne foi n’était pas forcément de mise, d’un côté comme de l’autre d’ailleurs. Elle prend sa source dans un épisode de L’Histoire des Francs de Grégoire de Tours. Celui-ci raconte que lors du synode de Mâcon, en 486, l’un des participants avait, en jouant sur les termes homo et vir, insinué qu’on ne pouvait assimiler la femme à un être humain (grosso modo : homo et vir étaient selon lui équivalents). Il fut aussitôt contredit par les évêques présents. A partir de là on a imaginé un soit disant débat qui aurait animé l’Église pendant des siècles...
  Intéressant débat, où l’on voit en effet que nous ne sommes pas à l’abri de ce genre de légendes. Un petit livre de Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age, fait justice de toutes les sottises que le XVIIIe a inventées dans sa polémique anti-chrétienne, et que nous répétons sans le savoir. A ce propos, elle souligne que le retour aux traditions antiques, à partir de la Renaissance, a cautionné la réintroduction de l’esclavage et la mise des femmes sous tutelle économique et juridique. Un livre utile...
  Après épluchage minutieux du très renseigné Catéchisme de l’Église Catholique, d’une Histoire de l’Église ayant reçu imprimatur et du Guide des difficultés de la foi catholique de l’abbé Descouvemont (imprimatur également), je ne vois nulle part que l’Église ait professé à une époque quelconque que les femmes n’avaient pas d’âme. En revanche on trouve quantité de textes (notamment au moyen âge) parodiques entre autres, discutant âprement de l’âme des chiens et des scarabées. On trouve aussi un texte de Voltaire (je ne sais plus la référence mais elle a été donnée ici il y a quelque temps) fort peu sympathique pour les femmes. Comme quoi les plus éclairés peuvent rester imprégnés d’obscurantisme... sans doute faut-il y voir les traces du temps et du contexte culturel et historique, et pas forcément la patte de l’Église.
  On trouve ceci dans un programme de journées académiques sur le site de Philosophie de l’Académie de Paris : 10h30 - Niki Chabert : « L’âme ou la raison des femmes : Les femmes ont-elles une âme ? Du point de vue théologique la question ne fut jamais sérieuse. Du point de vue politique elle le devint lorsqu’il s’est agi d’accepter que les femmes soient ou non des sujets civils : l’âme était alors devenue une métaphore de la raison. Cette question sera examinée à partir de quelques textes du XVIIIe siècle (lois, Encyclopédie, Diderot). »

Le débat relancé : les Philosophes, notamment Voltaire, étaient-ils misogynes ?

  Bien sûr que non, les femmes n’ont pas d’âme ! Demandez à Descartes ! Et ce n’est pas du tout une question de religion, du moins catholique. Elles ne peuvent pas plus en avoir que les Nègres, et pour les mêmes raisons : parce que l’homme (masculin) ne pouvait, dans les siècles passés (espérons que c’est différent, maintenant, mais... voire !) tenir debout que s’il les exploitait, les confinait, et les écartait de toute décision économique ou politique. Voyez Caton : « Ne donnez aucun droit aux femmes, car sitôt qu’elles seront vos égales, elles vous seront supérieures. » Voltaire, qui n’était pas un esprit si éclairé que ça, pensait certainement de même. [...] L’âme ou la raison des femmes si contestable(s) n’a rien à voir avec la religion catholique, du moins dans son principe évangélique. Elle a TOUT à voir avec des hommes au pouvoir, ou des théoriciens du pouvoir (comme l’ont été de nombreux « philosophes »).
  Réponses au message précédent : L’article « Femme » des Questions sur l’Encyclopédie (1771) de Voltaire est beaucoup trop long pour être cité ici. Dommage, il en vaut la peine. Voltaire a toujours eu sur le coeur l’article Femme de Desmahis, qui avait paru dans l’Encyclopédie : « Il semble que cet article soit fait par le laquais de Gil Blas », disait-il. Il avait donc écrit le sien pour effacer le ridicule de l’autre. La confrontation des deux textes est très intéressante. Ni esclavagiste ni misogyne, ni obtus... De même, loin d’être misogyne, ce passage du Dictionnaire philosophique (section I, « Les Ignorances ») :
« Qui es-tu, toi, animal à deux pieds, sans plumes, comme moi-même, que je vois ramper comme moi sur ce petit globe ? Tu arraches comme moi quelques fruits à la boue qui est notre nourrice commune. Tu vas à la selle, et tu penses ! Tu es sujet à toutes les maladies les plus dégoûtantes, et tu as des idées métaphysiques ! J’aperçois que la nature t’a donné deux espèces de fesses par devant, et qu’elle me les a refusées. Elle t’a percé au bas de ton abdomen un si vilain trou, que tu es porté naturellement à le cacher. Tantôt ton urine, tantôt des animaux pensants sortent par ce trou ; ils nagent neuf mois dans une liqueur abominable entre cet égout et un autre cloaque, dont les immondices accumulées seraient capables d’empester la terre entière ; et cependant ce sont ces deux trous qui ont produit les plus grands événements. Troie périt pour l’un ; Alexandre et Adrien ont érigé des temples à l’autre. L’âme immortelle a donc son berceau entre ces deux cloaques ! Vous me dites, madame, que cette description n’est ni dans le goût de Tibulle, ni dans celui de Quinault : d’accord, ma bonne ; mais je ne suis pas en humeur de te dire des galanteries. Les souris, les taupes, ont aussi leurs deux trous, pour lesquels elles n’ont jamais fait de pareilles extravagances. Qu’importe à l’Être des êtres qu’il y ait des animaux comme nous et comme les souris, sur ce globe qui roule dans l’espace avec tant d’innombrables globes ! ».
  On peut également citer cet article sur L’Éducation des filles (1761) :
MÉLINDE - Éraste sort d’ici, et je vous vois plongée dans une rêverie profonde. Il est jeune, bien fait, spirituel, riche, aimable, et je vous pardonne de rêver.
SOPHRONIE - Il est tout ce que vous dites, je l’avoue.
MÉLINDE - Et de plus, il vous aime.
SOPHRONIE - Je l’avoue encore.
MÉLINDE - Je crois que vous n’êtes pas insensible pour lui.
SOPHRONIE - C’est un troisième aveu que mon amitié ne craint point de vous faire.
MÉLINDE - Ajoutez-y un quatrième ; je vois que vous épouserez bientôt Éraste.
SOPHRONIE - Je vous dirai, avec la même confiance, que je ne l’épouserai jamais.
MÉLINDE - Quoi ! votre mère s’oppose à un parti si sortable ?
SOPHRONIE - Non, elle me laisse la liberté du choix ; j’aime Eraste et je ne l’épouserai pas.
MÉLINDE - Et quelle raison pouvez-vous avoir de vous tyranniser ainsi vous-même ?
SOPHRONIE - La crainte d’être tyrannisée. Éraste a de l’esprit, mais il l’a impérieux et mordant ; il a des grâces, mais il en ferait bientôt usage pour d’autres que pour moi : je ne veux pas être la rivale d’une de ces personnes qui vendent leurs charmes, qui donnent malheureusement de l’éclat à celui qui les achète, qui révoltent la moitié d’une ville par leur faste, qui ruinent l’autre par l’exemple, et qui triomphent en public du malheur d’une honnête femme réduite à pleurer dans la solitude. J’ai une forte inclination pour Éraste, mais j’ai étudié son caractère ; il a trop contredit mon inclination : je veux être heureuse ; je ne le serais pas avec lui ; j’épouserai Ariste, que j’estime, et que j’espère aimer.
MÉLINDE - Vous êtes bien raisonnable pour votre âge. Il n’y a guère de filles que la crainte d’un avenir fâcheux empêche de jouir d’un présent agréable. Comment pouvez-vous avoir un tel empire sur vous-même ?
SOPHRONIE - Ce peu que j’ai de raison, je le dois à l’éducation que m’a donnée ma mère. Elle ne m’a point élevée dans un couvent, parce que ce n’était pas dans un couvent que j’étais destinée à vivre. Je plains les filles dont les mères ont confié la première jeunesse à des religieuses, comme elles ont laissé le soin de leur première enfance à des nourrices étrangères. J’entends dire que dans ces couvents, comme dans la plupart des collèges où les jeunes gens sont élevés, on n’apprend guère que ce qu’il faut oublier pour toute sa vie ; on ensevelit dans la stupidité les premiers de vos beaux jours. Vous ne sortez guère de votre prison que pour être promise à un inconnu qui vient vous épier à la grille ; quel qu’il soit, vous le regardez comme un libérateur, et, fût-il un singe, vous vous croyez trop heureuse : vous vous donnez à lui sans le connaître ; vous vivez avec lui sans l’aimer. C’est un marché qu’on a fait sans vous, et bientôt après les deux parties se repentent.
Ma mère m’a crue digne de penser de moi-même, et de choisir un jour un époux moi-même. Si j’étais née pour gagner ma vie, elle m’aurait appris à réussir dans les ouvrages convenables à mon sexe ; mais, née pour vivre dans la société, elle m’a fait instruire de bonne heure dans tout ce qui regarde la société ; elle a formé mon esprit, en me faisant craindre les écueils du bel esprit ; elle m’a menée à tous les spectacles choisis qui peuvent inspirer le goût sans corrompre les moeurs, où l’on étale encore plus les dangers des passions que leurs charmes, où la bienséance règne, où l’on apprend à penser et à s’exprimer. La tragédie m’a paru souvent l’école de la grandeur d’âme ; la comédie, l’école des bienséances ; et j’ose dire que ces instructions, qu’on ne regarde que comme des amusements, m’ont été plus utiles que les livres. Enfin, ma mère m’a toujours regardée comme un être pensant dont il fallait cultiver l’âme, et non comme une poupée qu’on ajuste, qu’on montre, et qu’on renferme le moment d’après.

  Réponse aux deux citations précédentes : Il ne s’agit pas de dire que Voltaire est misogyne. Il s’agit simplement de souligner que sa conception du rôle de la femme ne volait pas plus haut que celles de son époque. Sa Sophronie, si l’on me pardonne ce jugement, en est la preuve. Elle n’est jamais qu’une femme vue par un philosophe : une petite raisonneuse bien décidée à brider ses émotions et à ne jamais écouter son coeur. Quelle chance ! C’est justement ce que les messieurs attendent d’elle : que confite en raison raisonnante elle ne songe jamais, quelle horreur, à vivre ses passions. Madame de La Fayette le disait déjà un siècle avant (donc où est le progrès « philosophique » ?) : bien montrer aux demoiselles le spectacle des passions, surtout des dangers de la passion, afin que nulle ne s’écarte jamais ni de l’amour légitime ni des volontés expresses de son confesseur. Progéniture garantie sans adultère. Mais qui a enseigné aux jeunes garçons à se méfier de leurs passions ? L’ambition, la curiosité intellectuelle, la création artistique, l’aventure au-delà des frontières, l’amour librement vécu, avant et pendant le mariage, tout cela leur était permis, mais interdit aux femmes qui ne voulaient pas se retrouver au ban de la société. Or, comme chacun sait, rien de grand ne se fait sans passion, surtout en art et en politique... Précisément les chasses gardées des messieurs...


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