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Article : [324] - Enseigner l’usage de la ponctuation forte


vendredi 27 avril 2012

Par Corinne Durand Degranges

Il s’agissait d’aider des élèves de 6e qui ne parviennent pas à ponctuer à la fin de leurs phrases, qui produisent des rédactions compréhensibles mais sans aucun ponctuation forte, écrites « Ã  flot continu » comme on parle.

Suggestion n°1 :

Je leur demande de relire à mi-voix dans leur « micro » ce qu’ils ont écrit. Ils savent que lorsque la voix baisse il faut mettre un point et lorsqu’elle monte c’est souvent l’emplacement d’une virgule.
Qu’est-ce que le « micro » ? Uniquement la main droite placée devant la bouche servant de réflecteur sonore pour que le son aille bien dans l’oreille.
Ça marche neuf fois sur dix.

Suggestion n°2 :

La lecture à voix haute enregistrée, puis écoute... Cela permet de faire prendre conscience de la nécessité de respirer. Si les élèves ne perçoivent pas leur manque de souffle, je lis moi-même le texte à haute voix, avec si possible le texte projeté au vidéoprojecteur afin que la classe voie que je ne triche pas, essoufflement garanti !
Quand nous sommes en phase de relecture, j’exige que les signes de ponctuation forte soient surlignés et que le nombre de lignes entre deux signes soit indiqué dans la marge. En 6e, il m’arrive de donner comme contrainte : pas de phrase de plus de trois lignes.
Ce n’est pas miraculeux, mais cela améliore les textes.

Suggestion n°3 :

Je suis parfois confrontée au même problème. Dans ce cas, je fais relire le texte à voix haute ; comme en général, l’enfant a l’intelligence de son écrit, il fait des pauses et peut alors prendre conscience du rythme, et de la ponctuation à apporter.

Suggestion n°4 :

J’ai donné à mes 6e cet exercice. Après lecture magistrale sans ponctuation, les élèves se rendent compte que le conte est incompréhensible. La difficulté réside après "d’abord". Certains ont mis un point après un peu. Le 2e exercice est plus facile.
Rétablis la ponctuation de ce conte :
La clé d’or
Par un jour d’hiver la terre étant couverte d’une épaisse couche de neige un pauvre garçon dut sortir pour aller chercher du bois en traineau quand il eut ramassé le bois et chargé le traineau il était tellement gelé qu’il ne voulut pas rentrer chez lui tout de suite mais faire du feu pour se réchauffer un peu d’abord il balaya la neige et tout en raclant ainsi le sol il trouva une petite clé d’or croyant que là où était la clé il devait y avoir aussi la serrure il creusa la terre et trouva une cassette de fer pourvu que la clé aille pensa-t-il la cassette contient surement des choses précieuses il chercha mais ne vit pas le moindre trou de serrure enfin il en découvrit un mais si petit que c’était tout juste si on le voyait il essaya la clé elle allait parfaitement puis il tourna une fois dans la serrure et maintenant il nous faut attendre qu’il ait fini d’ouvrir et soulevé le couvercle nous saurons alors quelles choses merveilleuses étaient contenues dans cette cassette.
Contes, Grimm
Même consigne avec ce conte (exercice plus facile)
La boule de cristal
Il était une fois une magicienne dont les trois fils s’aimaient fraternellement mais elle n’avait pas confiance en eux et croyait qu’ils voulaient lui ravir son pouvoir elle changea l’aîné en en aigle il habitait sur un pic rocheux et on le voyait parfois monter et descendre dans le ciel en décrivant des grands cercles le deuxième fut changé en baleine il vivait dans les profondeurs de la mer et l’on ne voyait de lui que le jet d’eau puissant qu’il lançait parfois en l’air craignant d’être changé lui aussi en bête féroce en ours ou en loup le troisième fils prit secrètement la fuite.
Contes, Grimm
Et celui-ci, du même acabit :
Ponctuez la phrase suivante de deux manières différentes pour lui faire dire des choses différentes :
l’élève dit le professeur est un idiot
L’élève dit : « Le prof est un idiot »
« L’élève, dit le prof, est un idiot ».

Suggestion n°5 :

Ma solution : avant de recopier le brouillon, on s’arrête et on repasse en rouge ponctuation forte et majuscules. Cela m’évite en partie les phrases de plusieurs lignes.
Même travail sur la copie tout au moins au début.

Un témoignage :

Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ne comprennent pas ce qu’est une « unité de sens » (même si je ne leur ai pas expliqué les choses ainsi) et ne voient pas où mettre le signe de ponctuation (avant même de savoir lequel !).
Ils écrivent en « flux continu », comme vous le mentionnez et même si je comprends leur texte, il arrive toujours un moment où je m’interroge sur le sens, sur qui fait l’action, et ils finissent toujours par oublier un verbe conjugué dans une « phrase » ; le sens en pâtit malgré tout.
Ces mêmes élèves rencontrent également des difficultés de lecture à voix haute.

Des exercices sur la nécessité de la ponctuation :

J’ai ces deux exercices dans mes archives, glanés dans un ouvrage didactique que j’avais emprunté au CRDP en début de carrière et que je ne suis jamais arrivée à retrouver (même le nom de l’auteur ne m’est jamais revenu), à regret car j’avais beaucoup apprécié les pistes données pour l’étude de la langue. L’exercice n°1 est en fait assez difficile, mais en le faisant collectivement, les élèves comprennent bien ici l’importance de la ponctuation.
Exercice n°1 : Lettres d’amour
Mon Aglaé
j’ai pris une grande décision j’ai eu hier une violente discussion avec mes parents à propos de notre mariage maintenant, tout est fini entre nous ils se sont montrés odieux papa a dit grand père te tuera si tu épouses cette fille mais non sans hésitation a ajouté maman je saurai te défendre tu as compris ils veulent que j’épouse Charlotte la fille de la charcutière, qui est laide et grosse comme toi je la trouve grotesque mais elle est riche il n’y a plus à hésiter et mon choix est fait t’oublier moi, jamais je serais un sale type en épousant ... Charlotte c’est avec toi que je me marierai
Ton Gaston
Version 1 : Rétablis la ponctuation de ce texte en respectant l’histoire suivante :

  Gaston épouse Aglaé
  malgré les menaces de son père(c’est ce qu’explique le grand-père)
  avec le soutien et l’aide de la mère
Version 2 : Rétablis la ponctuation de ce texte en respectant l’histoire suivante :
Gaston n’épouse pas Aglaé
c’est son grand-père qui est opposé au mariage
et sa mère le soutient mollement.
Exercice n°2 : Invitations
Passez à la maison avec votre femme dans le frigo il y a tout ce qu’il faut pour faire un bon gueuleton jusqu’à minuit on regardera la télé et après on sortira en boîte si on n’est pas là à votre arrivée vous trouverez la clé chez mon voisin faites comme chez vous et servez-vous un verre s’il vous embête enfermez le chien dans les toilettes avec la femme de ménage qui en a peur il y est habitué

Suggestion n°6
J’ai rencontré le même type de difficulté l’an dernier avec des élèves de 6e. En plus d’exercices du genre de ceux proposés sur la liste, j’ai fait quelques séances en utilisant la baladodiffusion avec plusieurs types d’exercices :
  Ã©couter un texte (que j’avais enregistré) ponctué de trois manières différentes et reconnaître la bonne ponctuation.
  faire une dictée de ponctuation : un texte est distribué sans ponctuation. Les élèves en écoutent une lecture et doivent placer correctement la ponctuation forte. Là aussi, c’est moi qui avais réalisé l’enregistrement afin de faire une lecture assez lente. Ils pouvaient écouter le texte plusieurs fois.
  les élèves enregistrent la lecture de l’une de leur production en insistant sur la ponctuation. (S’il n’y en a pas du tout, il y a des chances qu’ils en ajoutent au moment de l’enregistrement.) Ils s’écoutent ensuite pour améliorer la ponctuation de leur travail en repérant les pauses lors de la lecture. Ils recommencent l’enregistrement jusqu’à ce que le résultat leur paraisse satisfaisant, la consigne étant que l’on enregistre pour être écouté par les autres élèves ensuite.
Ces exercices ont été faits avec quelques élèves seulement, en groupe de besoin.

Autre exercice
WANTED : PONCTUATION
Rendez-nous la ponctuation sinon, on n’y comprend lplus rien du tout !
Le shérif à cheval arriva sur la place il descendit Ringo ne se doutant de rien jouait aux cartes dans le saloon régnait une grande agitation dans un coin quatre inconnus en silence buvaient de nombreuses bouteilles de bière encombraient leur table de la cuisine soudain le patron sortit un couteau à la main sa femme suivait la conversation s’arrêta à l’entrée du saloon menaçant et revolver à la main le shérif dit debout Ringo il faut payer tes dettes tu en as trop fait pas d’histoire sors dehors la nuit était tombée par terre allongé derrière un chariot un complice de Ringo guettait le moment était venu d’intervenir.
Conseil : lire le texte tel quel aux élèves...

Une proposition de cours

Pour ma part, j’ai trois à quatre élèves dans ce cas dans toutes mes classes chaque année, jusqu’en 3e. Ce sont en général des élèves qui ont du mal à structurer leur pensée.
Il faut beaucoup de temps et de persévérance pour faire faire des progrès dans ce domaine. Si vous pouvez agir sur des heures de soutien, c’est l’idéal, cela permet de bâtir une progression. En soutien, voici comment je procède :
  Intérêt de la ponctuation
Je leur demande pourquoi ils ne mettent pas de signes de ponctuation. Nous notons leurs remarques sans jugement (ex : je ne vois pas à quoi ça sert / je ne sais pas quand il faut en mettre / ça ne sert à rien puisqu’on comprend quand même avec les mots)
Je leur soumets trois textes dont j’ai enlevé la ponctuation :
un extrait narratif simple (par exemple des textes comme ceux de Bernard Friot qui ne posent aucun problème de vocabulaire, ni de syntaxe complexe). Il peut contenir une réplique de dialogue (sans tiret ni guillemet). Longueur dix lignes maximum.
Ils le lisent à voix haute. Ils réalisent la difficulté de devoir eux-mêmes deviner le début et la fin des groupes de sens.
un extrait de théâtre (par exemple Gripari) qui contient des questions, des exclamations, etc.
Ils le lisent à voix haute. Il se rendent compte que la ponctuation est utile aussi pour savoir comment lire la phrase.
un paragraphe non littéraire (ex : une leçon de leur cahier d’histoire ou de SVT, un problème de mathématiques, une lettre, etc.)
La ponctuation n’est pas utile que dans les "rédactions" de français.
Nous notons leurs observations sur ces textes non ponctués.
  Quand /Comment ponctuer ?
Ils recopient un paragraphe bien ponctué de huit à dix lignes (sans dialogue).
Ils comptent le nombre de lignes qu’ils ont écrites, le nombre de signes qu’ils ont recopiés. On en déduit une "moyenne" par ligne (ce calcul mathématique choquera les plus littéraires d’entre nous, je veux bien le comprendre, mais pour certains élèves, réaliser que chaque ligne d’écriture contient en général un ou deux signes les aide vraiment et les rassure).
Ensuite, on regarde la fréquence de la ponctuation forte.
Nous en déduisons que quand ils écrivent (hormis les dialogues) ils ne doivent pas faire des phrase de plus de deux ou trois lignes (ils doivent distribuer correctement leurs points). Puis ils doivent faire une lecture « spéciale ponctuation » pour placer virgules ou doubles points.
  Oraliser la ponctuation
Je leur propose des extraits très courts bien ponctués (récit, théâtre, leçon). Ils sont écrits au tableau. A chaque signe de ponctuation, nous inscrivons la pause (barre simple ou double) et le mouvement de la voix (monte ou descend). Cela fait un peu partition de musique ! Nous passons l’heure à oraliser correctement chaque signe (certains élèves lisent la virgule comme un point. Ils réalisent que le sens est suspendu et non achevé). Ils aiment beaucoup cela.
  Ponctuer le texte d’autrui
Je leur donne plusieurs extraits courts à ponctuer sans qu’ils aient besoin de les recopier (récit, dialogue de théâtre, leçon). En revanche, je ne mets pas de dialogue inséré dans le récit. Cela leur complique trop la tâche et ce n’est pas le même objectif.
  Ponctuer son propre texte
Je leur donne de courts sujets d’écriture (un paragraphe) : ils doivent écrire et corriger leur ponctuation en vérifiant le nombre de signes, l’oralisation dans la tête. Je corrige en direct.
ex : décris ta chambre ; raconte ton week-end ; quel est ta passion, décris-la ; que ferais-tu si tu avais un pouvoir magique ? Etc.
  Approfondissement
En fonction de la difficulté des élèves, j’ajoute des séances : nous alternons lecture orale (ce que nous lisons en court de français) et passage d’écriture.
Au cours de ces séances, je ne me donne pas de limite de temps : je ne veux pas stresser les élèves. Ils ont tous le temps de lire à l’oral, de lire leur texte, de ponctuer au tableau, etc. Ils reprennent du plaisir quand on leur donne du temps et de l’écoute personnelle.
En cours, ensuite il y a le prolongement :
Quand je donne des lectures à la maison, de plus en plus souvent, je cible un passage que les élèves doivent lire à voix haute. Si le texte est court, ils le lisent deux fois. On n’a pas le temps de le faire en classe systématiquement pour tous les élèves. Évidemment, tous ne le font pas, on ne peut pas vérifier, mais on touche quand même les élèves studieux et ceux qui sont suivis par leurs parents. La mise en bouche des textes me paraît de plus en plus indispensable pour tous. J’insiste en soutien sur la nécessité de le faire avec sérieux.
En rédaction et en lecture expliquée, je rappelle cet objectif à ces élèves. Il devient prioritaire pour eux.
Quand c’est possible, l’idéal est de sensibiliser les collègues qui les font rédiger (Histoire-géo, SVT...)pour qu’ils soient aussi attentifs à cet objectif et relancent les élèves(voire affectent un bonus).
Sur quatre rédactions, pour ces élèves, je rajoute une note sur cinq points concernant leur ponctuation. Ça les motive et on voit l’évolution. Je compte la note pour ceux qui en ont une bonne.

Une réflexion d’ordre linguistique

Je crois que l’obstacle invisible qui se cache derrière cette absence de ponctuation (ou, défaut symétrique, l’excès de points et virgules trouvé dans certaine copies) réside en partie dans la copie inconsciente du déroulé des propos à l’oral. Des linguistes comme Reichler-Béguelin ont analysé, finement je trouve, le fait qu’à l’oral nous ne faisons pas de phrases ; nous produisons des « périodes » , séquences plus ou moins longues dont la fin est marquée par une intonation descendante ; à l’intérieur de ces périodes , notre propos s’organise en « clauses », énoncés séparés par des pauses brèves et avec des liens syntaxiques très libres. Exemple : « tu sais / hier / les 5e / l’exercice que tu m’avais passé / il a bien marché / j’étais content ».
Ce modèle est très prégnant dans nos cerveaux d’humains qui savent parler bien avant de savoir écrire et il est inconsciemment transféré à l’écrit, durablement pour certains. Le jeu d’intonations qui, à l’oral, organisent le propos ne se traduit pas si facilement en système de ponctuation ; un système d’ailleurs tardivement mis en place, et davantage sous la pression des imprimeurs que par les grammairiens. Le nombre de lecteurs de l’écrit était très faible, les marques de ponctuation étaient peu développées.
Pardon pour ce détour. Mais du coup pour nos élèves il n’est pas inutile de faire écouter, in vivo en classe mais aussi par enregistrements, des oraux spontanés (l’oral des informations radio ou TV n’étant évidemment que de l’écrit oralisé) ; de les transcrire "bruts" ; d’observer comment ils fonctionnent ; et de faire prendre conscience que l’absence de ponctuation de nos élèves peut venir en partie de cette imitation inconsciente de l’oral, pas au sens de l’oral familier, mais de la construction même du propos.
Mais le souci de ponctuer vient aussi de la prise en compte d’un lecteur potentiel : c’est pour lui qu’on ponctue. Cette prise en compte suppose de ne plus écrire « pour soi » mais pour l’autre, et tous nos élèves n’en sont pas à cette prise de conscience qui demande une évolution psychologique.

Une synthèse issue de Profs-L, à consulter :

Énoncés ambigus


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