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Article : Critique littéraire et perception du texte critique en Afrique noire : le cas du Cameroun


samedi 14 juin 2003

Par Pierette Ndzie

Approche de la réception du texte critique chez les étudiants camerounais : entre la mise en évidence d’une lecture singulière de l’oeuvre littéraire et un discours d’autorité imposant son propre point de vue, quelles stratégies de lecture enseigner ?
Pistes pour une lecture critique de la critique.

Cette réflexion est la réponse à une préoccupation constatée au Cameroun, particulièrement à l’Université de Yaoundé I : l’étudiant camerounais, face au texte critique, développe deux attitudes traduisant deux lectures du texte critique : soit le texte critique est pris comme une aide à la littérature et ce faisant, la théorie élaborée par l’auteur du texte critique est une piste pour la compréhension du texte de base, l’Å“uvre de laquelle l’auteur du texte critique formule son canevas de lecture, soit il est considéré comme un genre et répond aux préoccupations pragmatiques gérant ce type de communication, c’est à dire qu’il installe son lecteur dans un "monde fictionnel réel".

Tout compte fait, la lecture du texte critique au Cameroun permet de faire le départ entre les objectifs assignés à un tel texte et les usages créés par les besoins ad hoc des étudiants en classe de littérature. Après avoir présenté les différentes attitudes constatées, nous nous consacrerons à établir un modèle de lecture capable d’aider l’apprenant à mieux gérer les connaissances emmagasinées et opter pour une lecture efficiente du texte critique.

Les deux attitudes adoptées

Nous ne reviendrons pas sur les considérations hâves et closes de la complémentarité ou non de la critique universitaire et de ce que Roland Barthes a appelé "les nouvelles critiques" [1], encore moins sur ce qui est qualifié de littéraire ou non, car, nous retenons avec Molinié que "c’est le récepteur, le lecteur, le public qui en mesurent la nature, la réussite et l’existence. Le texte littéraire se reconnaît et s’identifie à l’acte qu’il produit à la réception : s’il donne envie de toujours le relire pour en être sans cesse et par là même ébranlé et ravi, c’est qu’il existe ; s’il ne crée pas cet acte, cet événement, il n’existe pas comme littéraire." [2]

Ne s’agissant pas non plus de l’appréciation esthétique du texte critique - savoir s’il constitue un genre ou non - notre champ d’investigation se situe au niveau de la portée didactique d’un tel texte, de son utilisation dans l’acquisition des moyens formels permettant aux étudiants camerounais de lire et de comprendre le texte critique. Ainsi, devant un tel discours, deux comportements ont été constatés :

1. Le texte critique comme aide à la littérature

Notons que le préalable à la compréhension d’un texte critique est que l’étudiant a lu le corpus de base, c’est à dire l’Å“uvre littéraire à partir de laquelle l’auteur du texte critique élabore sa grille de lecture, et qu’il en a tiré ses propres "implicatures" [3], c’est à dire qu’il a effectué un travail sur le sens du texte. Le schéma significatif qu’il en dégagera rejoindra la base des données constituées par les autres lectures critiques à propos de cette oeuvre.

Les textes critiques différents à propos de ce roman, pièce de théâtre ou poème viseront tous à mettre en évidence une organisation sous-jacente précédent la réalisation textuelle en surface qu’est l’Å“uvre littéraire. Ainsi, l’auteur du texte critique et son lecteur préfigureraient un acte de communication de type instructif AC. Cet AC s’institue comme un cours magistral, dans lequel l’auteur "expose quelque chose de manière à en donner l’intelligence et la raison". [4]

Le texte critique devient un texte de type "expositif" [5] associant l’analyse et la synthèse des représentations conceptuelles. Ainsi, l’étudiant pose donc que la masse des signes mise à sa disposition constitue la mise en évidence d’une vision singulière de l’univers linguistique de base qu’est l’Å“uvre littéraire en question.

2. Le texte critique comme genre littéraire

Dans ce cadre-ci, l’étudiant et l’auteur du texte critique s’installent dans un acte de communication dans lequel le message est perçu comme une injonction. La succession d’informations et d’instructions à propos de l’Å“uvre de base s’effectue dans un environnement qui se conçoit comme "un modèle de réalité" [6] où l’émetteur (l’auteur du texte critique) s’adresse au récepteur (l’étudiant à travers son message (le texte critique) dont l’aspect esthétique est l’expression du "non-narratif". [7]

Cette aptitude qu’a l’auteur du texte critique d’attirer son lecteur dans son "monde réel" amène celui-ci à revisiter sa position et à considérer son dire comme une vérité inaliénable, tout simplement parce que le "je" du texte critique renvoie à son auteur réel, et que l’éthos" [8] que dégage son message favorise cette attitude de "magister dicit" exprimée par l’étudiant. Celui-ci fait donc fi de son jugement personnel et adopte celui du texte critique.

Cette décision est grave du point de vue didactique parce qu’elle éteint les dispositions intellectuelles de l’apprenant. Il sera d’autant plus bouleversé qu’il aura en face de lui plusieurs théories textuelles, et finira par choisir une à laquelle il s’attachera.

De ces deux attitudes, s’il faut craindre, pour la première un applicationnisme idiot, la seconde révèle la gravité de l’instabilité de l’étudiant face aux multiples orientations textuelles proposées qui ne répondent pas à la maxime "les mêmes causes entraînent les mêmes effets". Or, si lire un discours c’est émettre des hypothèses sur le type de texte, quelles stratégies devraient se révéler efficaces et utiles à l’étudiant de l’université de Yaoundé I ?

Définition du modèle

Le modèle que nous nous proposons d’élaborer ne suggère pas un ensemble fini de procédures à respecter, à appliquer aux mêmes objets selon la définition de méthode de Grawitz, mais définit un ensemble d’opérations à effectuer à la lecture d’un texte critique, du début à la fin. La première pratique de possibilité d’un tel avis est la détermination du genre.

1. Détermination du genre

Nous entendons par détermination du genre la mise en évidence des facteurs linguistiques internes existant dans un texte critique et dont nous citerons quelques uns :

a- Le texte critique est un discours sur un autre discours ou mieux à propos d’un autre discours. Ce discours est à but explicatif.

b- Le texte critique actualise en même temps plusieurs types de texte : il est à la fois un acte argumentatif parce qu’il se propose de faire-croire, de persuader, un acte assertif parce qu’il fait comprendre quelque chose à quelqu’un et un acte injonctif parce qu’il incite à faire-faire.

c- Cette hétérogénéité du texte critique lui permet d’obéir à deux principes pragmatiques, dans le contexte néo-gricéen, le principe Q (donner l’information la plus forte) et le principe I (donner l’information la plus faible.)

Une fois que l’étudiant a intégré ces opérations qu’il a pu dégager de quoi il est question et comment l’auteur du texte critique l’envisage, il peut passer à la suite, la seconde opération qui est la définition de la grille de lecture de l’auteur.

2. Définition de la grille de lecture

Une grille de lecture n’est efficiente que si elle aide à dégager une structure signifiante, pré-existante au texte à étudier. C’est du moins l’impression que nous ont donné, jusqu’aujourd’hui, les théories narratives existantes. L’étudiant se devra donc de dégager tous les contours de la théorie critique qu’il lit, en déterminer les étapes, les données. Cette opération lui permettra d’articuler méthodiquement les activités afférentes à cette théorie et par extension à évaluer les limites de celle-ci en les confrontant aux autres théories existantes. Il se construit ainsi une base de données intelligente et il est nécessaire d’insister sur l’adjectif intelligente parce que c’est seulement à cette condition que l’activité créatrice, que l’imagination au service du texte et vice-versa seront questionnées.

La dernière activité convoquera la gestion de toues ces données, ainsi que de la sensibilité de l’étudiant dans la composition du sens.

3. Interprétation des informations

S’il est un fait qui mobilise les linguistes aujourd’hui, c’est bien celui de l’interprétation des textes. Or « l’enjeu didactique du sens et de son interprétation est de faire converger, coopérer les ordres complémentaires du syntaxique et du sémantique. » [9]

Quels sens donner donc aux informations collectées pour une bonne lecture du texte critique ?

A ce niveau, est convoquée la compétence cognitive de l’étudiant. Elle se mesure aux éléments qui interviennent dans son interprétation, éléments à la fois linguistiques, encyclopédiques et contextuels.

Les connaissances linguistiques sont constituées de tous les signes visant à mettre en évidence la subjectivité du sujet parlant, les liens logiques et sémantiques de son énoncé ; les connaissances encyclopédiques et contextuelles réunissent tout le savoir extra-linguistique ( du texte critique) ou mieux les connaissances en dehors du texte critique.

Le calcul du sens se fera par « enrichissement et inférence » [10], enrichissement notamment propositionnel [11] et inférence du moment que l’agencement des structures est révélateur d’une signification d’une part, et de la sensibilité du sujet lisant d’autre part.

Plus précisément, il s’agit pour l’étudiant de savoir que l’Å“uvre de base est le point du départ de toute compréhension du texte critique, que celui-ci est un point de vue sur ce texte et que le texte lui même révèle le point de vue de l’écrivain sur son environnement. Il devrait pour cela accorder une place non négligeable à sa perception du texte de base, s’informer des autres points de vue sur le même texte afin de construire une vision certes éclectique mais plus juste parce qu’intégrant tous les paramètres d’interprétation.

Il ne s’agit dont plus de faire de l’applicationnisme pour démontrer que l’on a compris la méthode d’analyse du discours préconisé par l’auteur du texte critique, encore moins de se laisser subjuguer par une théorie particulière mais d’unifier toutes les problématiques du signe et du texte. [12]

Plus simplement, il s’agit de savoir ce que dit l’auteur du texte critique, comment il le dit d’un côté, et de l’autre comment moi, l’étudiant je perçois ce que dit l’auteur du texte critique, comment je le conçois et quel est le lien que je peux établir entre ces connaissances et la référence, qui est l’Å“uvre de base.
C’est seulement à cette condition qu’il pourra « saisir une pensée autre afin de comprendre ou de modifier la sienne ». [13]

En somme, le travail à effectuer sur un texte critique est un travail de compréhension par paliers successifs : compréhension de ce que dit l’auteur du texte, de comment il le dit de comment je le perçois et le comprends, de comment je peux l’utiliser.

Conclusion

Les deux attitudes manifestées par les étudiants à la lecture du texte critique, nous avons jugé mieux de les ré-orienter pour une lecture efficiente de ce texte, en posant comme préalables la connaissance de l’Å“uvre à partir de laquelle le jugement critique est émis, les mécanismes qui régissent un texte critique, la détermination de la grille d’approche de l’auteur du texte critique. Puis suivra l’interprétation de toutes ces données, travail compositionnel d’élaboration du sens. Ces balises permettent à l’étudiant camerounais de ne plus être submergé, influencé, mais de déduire une coopération efficiente des structures linguistiques et des structures sémantiques.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  Moeschler Jacques, 2001, Pragmatique. État de l’art et perspectives in Marges Linguistiques n°1, Mai 2001
  Sanfourche Jean-Paul, 2001, L’Illusion des méthodes et les pratiques d’interprétation des textes , inédit. Revue-texto.net
  Amossy Ruth, 2000, Argumentation dans le discours Paris, Nathan
  Molinié Georges, 1991, La Stylistique, Paris, P.U.F.
  Adam Jean-Michel, 1985, Quels types de textes ? in Le Français dans le monde, n° 192
  Wolf-Dicter Stempel, 1979, Aspects génériques de la réception, in Poétique, n° 39, Paris, Seuil.
  Yarald Weinrich, 1979, Les temps et les personnes in Poétique, n°39, Paris, Seuil.



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